Ars Electronica 2021

L’Ars Electronica de Linz, c’est un centre et un festival qui s’étend en divers lieux de la ville autrichienne dont l’université Johannes Kepler et l’Offenes Kulturhaus. Son directeur artistique, Gerfried Stocker, y interroge notre monde numérique pour mieux en comprendre les transformations. Où l’on découvre quelques créations articulées autour de la notion de mesure.

Un art de la mesure

Made to Measure

Group Laokoon, Made to Measure, 2021.

L’exposition thématique du Campus de l’université Johannes Kepler s’intéresse aux relations que nous entretenons avec l’intelligence artificielle. Où l’on découvre l’installation vidéo Made to Measure du groupe Laokoon que forment Hans Block, Moritz Riesewieck et Cosima Terrasse. Il s’agit d’un projet de recherche se situant à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. Au départ, il y a le jeu des données collectées par Google sur une inconnue. L’idée étant de mettre en scène la vie de celle dont on ne connaît rien si ce n’est les requêtes qui, par recoupement, permettent de reconstituer sa personnalité. Sachant qu’il est aujourd’hui bien des algorithmes qui en savent plus sur nos comportements que nos proches. Les séquences vidéo de Made to Measure ont nécessité décors, actrices et acteurs qui ont été filmés telle une fiction. Mais elles sont aussi entrecoupées d’entretiens avec des chercheuses et chercheurs. Diffusée via un dispositif à trois écrans, cette création vidéo est conforme à celles d’un art contemporain que la recherche structure et que le cinéma inspire. Quant à la thématique développée, elle renvoie aux questions résolument d’actualité que soulèvent les collectes et traitements automatisés de nos données personnelles.

La valeur des choses

Life Support System

Disnovation.org, Life Support System, 2020.

Qui n’a jamais rêvé en contemplant des représentations d’architectures où la nature, en étages, nous apparaît si parfaitement contrôlée ? On parle alors de fermes verticales ou de cultures hydroponiques. Une telle agriculture “hors-sol” est activée par les artistes Nicolas Maigret et Maria Roszkowska du duo Disnovation.org qui ont collaboré avec Baruch Gottlieb sur le projet Life Support System. A l’Ars Electronica Center de Linz, un dispositif entièrement automatisé cultive un mètre carré de blé. Mais les céréales sont aussi sous haute surveillance : le système mesure les coûts en électricité, en eau et nutriments qui sont nécessaires à leur croissance. Sur un moniteur connecté à l’installation, spectatrices et spectateurs peuvent suivre les dépenses en temps réel : le soleil simulé par un éclairage, l’air brassé par des ventilateurs et l’eau riche en nutriments. Ces données qui ne sont jamais quantifiées en agriculture traditionnelle sont ici scrupuleusement mesurées. Le kilogramme de blé qui vaut environ un euro dans les rayons de nos supermarchés finira par en coûter quelques centaines dans le contexte de cette exposition intitulée There Is No Planet B. Le coût exorbitant d’une nature artificiellement reconstituée pourrait alors modérer les projets des grands entrepreneurs du numérique qui rêvent d’ailleurs, en l’occurrence de la planète Mars. Mais force est de reconnaître qu’il n’y a guère, pour l’instant, de plan B. Il est par conséquent grand temps de considérer la valeur de ce que la nature nous offre gracieusement quand nous la ménageons.

Théorie du nuage

Cloud Studies

Forensic Architecture, Cloud Studies, 2021.

Cette année, le prix Golden Nica de la catégorie Artificial Intelligence & Life Art a été décerné à l’agence de recherche Forensic Architecture basée à l’Université Goldsmiths de Londres. Il s’agit d’un studio regroupant architectes, chercheurs, programmeurs et autres journalistes d’investigation dont les actions se succèdent de tribunaux en conférences en passant par les musées et centres d’art. Plus que jamais, les conflits se mènent au travers d’images interposées. Ensemble, ils en collectent de grandes quantités pour en mesurer tous les détails afin de révéler des vérités autres que celles fournies par les États qui commettent des violences. L’installation vidéo Cloud Studies présentée par Forensic Architecture au sein de l’exposition Cyber Art de l’OK Centrum mêle témoignages sur le vif et reconstitutions tridimensionnelles où le réel est augmenté d’informations graphiques et de données textuelles. Dans un même temps, une voix féminine dont le ton est factuel déroule une narration au fil des cas d’étude. Tous les nuages de cette recherche ont en commun d’émerger de conflits ou d’affrontements. Leur toxicité, quand bien même elle ne soit pas à démontrer, est analysée par l’image selon différents points de vue où les moindres mouvements sont traqués à l’aide d’algorithmes. Le politique est au centre de cette recherche qui se termine par une évocation de la représentation du nuage en peinture. Aussi l’on pense à la Théorie du nuage de 1972 au sein de laquelle Hubert Damisch analyse les représentations picturales de phénomènes atmosphériques pour mieux comprendre les époques. Avec Forensic Architecture, l’étude détaillée des nuages de bombes au phosphore blanc ou de gaz lacrymogène éclaire les contextes sociétaux de leurs émissions à l’international.

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