L’art immersif est une tendance qualifiant la situation du public plus que la nature de l’œuvre qui intéresse tant les institutions comme le Guggenheim à Bilbao ou le MoMA de New York que les centres dédiés à l’instar de Superblue Miami.
Le Musée Guggenheim de Bilbao, soucieux de suivre les tendances de l’art, inaugure son dispositif de monstration d’installations immersives avec Refik Anadol. Connu pour son traitement de données en flux monumentaux, l’artiste né à Istanbul et vivant à Los Angeles a créé une “ architecture vivante” dédiée à Frank Gehry.
Refik Anadol, Living Architecture: Gehry, 2025.
L’art immersif est une tendance contemporaine qui qualifie la situation du public plus que la nature de l’œuvre. Rien de véritablement nouveau si l’on considère l’art pariétal et plus encore le panorama en peinture dès le XVIIIe siècle. A compter des avant-gardes, les œuvres in situ se multiplient et des musées comme le Guggenheim de Bilbao en témoignent, tant avec les lumières de Jenny Holzer qui nous entourent qu’avec les sculptures de Richard Serra que l’on parcourt ou les miroirs de Yayoi Kusama qui nous reflètent à l’infini. Rien d’étonnant donc à ce que ce même musée dessiné par Frank Gehry initie une série d’expositions dans sa toute nouvelle salle immersive intitulée précisément In situ. Et qui mieux que Refik Anadol, connu pour ses installations vidéo de grande taille, pour évoquer le travail de l’architecte Frank Gehry qui a changé l’image de Bilbao.
Refik Anadol, Living Architecture: Gehry, 2025.
Cette première installation de la série in situ qui se déroule en cinq actes s’intitule Living Architecture: Gehry. Au commencement, si tant est qu’il y en ait un pour cette création jouée en boucle, Refik Anadol nous montre ce que d’ordinaire on nous cache : le jeu en très grand nombre de données-images, en l’occurrence relatives à la carrière de l’architecte. Ce qui a pour effet de rappeler l’aspect essentiel des data dans les pratiques d’intelligence artificielle autant que de forcer le respect quant à l’appétence des algorithmes qui, littéralement, les “assimilent”. Puis, les tableaux se succèdent jusqu’à celui où la machine, s’inscrivant dans la continuité de ce qu’elle connait, invente des formes architecturales qui jamais ne se figent. Arrive alors le moment tant attendu de ce que l’artiste nomme “hallucination”, sa signature d’une matière granuleuse en flux ininterrompus. Quand la musique de Kerim Karaoglu renforce les mouvements magmatiques de ce qui jaillit bien au-delà de la surface de l’image projetée. Les artistes en vue, comme Jeff Koons dont les magnifiques tulipes ornent le musée de Bilbao, cristallisent les commentaires. L’histoire nous dira ce qu’il adviendra dans le temps de l’esthétique de Refik Anadol qui actuellement parcourt le monde des institutions. Sa validation par le Guggenheim de Bilbao, après celle du MoMA de New York, donne toutefois une indication.
S’il est aujourd’hui un lieu qui incarne l’immersion, c’est bien Superblue Miami, tant par sa démesure que la qualité de sa programmation ou sa proximité avec le monde de l’art contemporain, et jusque dans son voisinage immédiat avec le Rubell Museum où l’expérience se poursuit.
teamLab, Between Life and Non-Life, 2021.
Superblue ne pouvait pas mieux incarner les pratiques immersives qu’en accueillant le ganzfeld AKHU de James Turrell dès son ouverture en 2021. Mais force est de reconnaitre que les installations rassemblées sous le titre Between Life and Non-Life de teamLab ont aussi grandement participées à son succès planétaire. Difficile en effet de résister à l’extrême virtuosité du collectif japonais devenu une référence dans la création de dispositifs audiovisuels muséaux monumentaux magnifiant notamment la nature en à peine un quart de siècle.
Rafael Lozano-Hemmer, Pulse Topology, 2021.
Dans la salle suivante, l’immersion est sono-lumineuse eu égard aux pulsations cardiaques dont témoignent les trois mille ampoules du dispositif Pulse Topology (2021) de Rafael Lozano-Hemmer. Des capteurs permettent au public d’assigner leurs battements de cœur à une ampoule, puis une autre et une autre jusqu’à quitter ce nuage de particules incarnant autant d’individus qui ne sont que de passage. Au point qu’entrer dans la danse revient à accepter d’en sortir, mais sans savoir quand.
Studio Lemercier, Lightfall, 2024.
L’autre installation lumineuse dans la salle suivante est signée par le studio Lemercier composé de Joanie Lemercier et Juliette Bibasse dont la musique électronique de Murcof renforce la présence. Œuvre de l’immatériel par excellence, Lightfall (2024) n’est constituée que de vapeur d’eau qu’une lumière révèle délicatement de ses balayages. Une interaction de l’infiniment petit qui convoque la complémentarité des forces en puissance dans la voie lactée.
Es Devlin, Forest of Us, 2023.
Les anciens représentaient les miroirs avant que les contemporains n’en fassent l’usage, comme c’est le cas avec Forest of Us (2023) d’Es Devlin. La myriade de ses surfaces réfléchissantes a pour effet d’accroitre singulièrement la complexité de son architecture déjà labyrinthique. Quant à son titre évoquant cette possible forêt de nous-mêmes, ce pourrait être une métaphore renvoyant à la multitude de nos identités dès lors que nous interagissons en ligne.
Yayoi Kusama, Infinity Mirrored Room - Let's survive forever, 2017.
L’artiste, qui use depuis les années soixante de surfaces réfléchissantes pour générer des installations immersives, c’est Yayoi Kusama, qui en a plus d’une vingtaine à son actif. En sortant de Superblue, il suffit de traverser la rue, en ce quartier de Miami, pour faire l’expérience de ses Infinity Mirrored Rooms présentées au Rubell Museum. Tout ce qui est ou entre dans de tels environnements se multiplie, à la mesure de la prolifération des témoignages par l’image sur les médias sociaux. Ce qui témoigne de l’engouement exponentiel des publics pour cette tendance immersive de l’art qui se déploie aussi dans l’industrie créative.
Aux origines techniques de l’immersion, deux solutions autorisent la démesure : les écrans LED, comme ceux de Time Square qui s’immiscent aussi dans les musées, dont le MoMA, et les vidéoprojecteurs utilisés dans des lieux d’art immersif tel le Artechouse de New York.
Olafur Eliasson, Lifeworld, New York, 2024, production CIRCA, source Michael Hull.
Il faut attendre le Midnight Moment pour que des artistes prennent le contrôle des écrans de Time Square, comme l’a fait l’an passé Olafur Eliasson avec Lifeworld. Il a pour cela filmé la place avec ses animations publicitaires avant de flouter les séquences pour en ralentir les temporalités et les réintégrer dans les écrans. L’unité formelle confère un caractère immersif au lieu qui a perdu ses injonctions à consommer. L’abstraction, qui chaque soir prend place entre 23h57 et minuit, offre ainsi trois minutes de déconnexion aux passantes et passants.
Yoshi Sodeoka, Infinite Ascent, New York, 2025, source Michael Hull.
En ce début d’année, c’était au tour de Yoshi Sodeoka de présenter Infinite Ascent. Celui-ci a remis du ciel dans les écrans où la ville n’est suggérée que par des silhouettes que survolent des oiseaux. Une “ascension infinie”, de la part des volatiles qui, en s’extrayant de la gravité, nous ont toujours fascinés. Ce Midnight Moment pouvant être considéré comme un appel à la reconnexion avec une nature qui jamais n’a totalement déserté Manhattan.
Rafaël Rozendaal, Rio, 2024, Light, MoMA, New York, 2025, programmation Reinier Feijen.
De son côté, le MoMA n’a pas résisté à la tentation d’intégrer un écran LED de grande taille pour présenter actuellement une série d’animations de Rafaël Rozendaal. Initialement codées pour être présentées en ligne à des adresses distinctes, elles prennent ici une tout autre dimension. Au point que le public peut littéralement entrer dans l’image de ces courtes séquences qui s’inscrivent dans la continuité de l’abstraction géométrique du siècle dernier, si ce n’est qu’ici elles s’exécutent en temps réel.
Jérémy Oury, Exo Cortex 3.0, 2025.
C’est dans une ancienne chaufferie de Chelsea que Artechouse s’est installé à New York. Au programme, le projet Submerge regroupant une quinzaine de créations immersives dont celles d’artistes français. Il y a Exo Cortex de Jérémy Oury dont les animations géométriques projetées s’adaptent tout particulièrement à l’espace, au point virtuellement de le faire disparaître tandis que la voix synthétique qui s’adresse à nous vise à nous propulser dans un état de conscience modifié.
Obvious, Be Water, 2025.
Avec Be Water de Obvious, nous sommes projetés dans un ailleurs définitivement plus organique, liquide. Les membres du collectif ont mis au point une intelligence artificielle apte à détecter les mouvements de séquences vidéo afin d’en générer d’autres pour incarner l’injonction portée par le titre : « être eau ». C’est-à-dire s’adapter aux conteneurs, comme les contenus immersifs se joignent aux lieux qu’ils augmentent par l’image.