7e Biennale Elektra

La septième Biennale internationale d’art numérique Elektra de Montréal gravite autour d’Arsenal Art contemporain où le commissaire Alain Thibault a réuni les créations d’une trentaine d’artistes sur la thématique de l’Illusion.

Au son de la voix

Voice Scroll

David Rokeby, Voice Scroll, 2021-2024, en collaboration avec Awwal Malhi, Kathy Zhuang et Xavier Snelgrove.

S’il est une installation interactive qui fait parler au centre d’art contemporain de l’Arsenal, c’est bien Voice Scroll de David Rokeby. Car celle-ci permet au public de dicter vocalement les situations qu’une intelligence artificielle génère en temps réel de gauche à droite. L’image panoramique sans cesse se déroule selon les désirs exprimés de celles et ceux qui se succèdent au microphone. Bien que nous soyons rompus à cette tendance “prompt” de l’art, force est de reconnaître que l’extrême réactivité du dispositif à la voix nous fascine, apparaissant tellement plus proche du désir que ne le serait un clavier.

Hybridation

Animal Locomotion

Kurt D'Haeseleer, Animal Locomotion, 2023.

Cette septième édition d’Elektra est définitivement teintée d’IA. Plus que jamais, les artistes aux appétences technologiques, à l’instar de Kurt D'Haeseleer, sont tentés d’explorer les possibles qu’ouvrent la générativité. Avec Animal Locomotion, ce dernier s’en sert pour hybrider l’humain à la machine en ayant entrainé un modèle avec des sources mêlant Edouard Muybridge à Boston Dynamics. L’animation saccadée à l’esthétique surannée évoque une temporalité hybridant aussi le passé au futur.

De l’inconnu

Les formes vides

Sébastien Lacomblez et Emmanuel Pire, Les formes vides, 2024.

Sébastien Lacomblez n’a pas non plus résisté aux sirènes de l’IA en collaborant avec Emmanuel Pire pour obtenir une étrange création intitulée Les formes vides. Une animation captivante par ses transitions, comme c’est souvent le cas avec les séquences génératives. C’est-à-dire quand l’algorithme invente des réalités alternatives pour passer de ce que l’on connait à ce que l’on croit encore reconnaître. Or, c’est dans cet interstice de l’inconnu que bien souvent de telles propositions nous saisissent en nous extrayant du monde ordinaire.

Les lois de la physique

Organism & Excitable Chaos

Navid Navab, Organism & Excitable Chaos, 2024, en collaboration avec Garnet Willis.

La biennale Elektra s’inscrit dans la continuité du festival au nom éponyme initialement dédié à cet art de la performance qui est aussi celui de Navid Navab performant Organism pendant le quatorzième Marché international d'art numérique. Son instrument, c’est un orgue à tuyaux des plus analogique, mais dont l’arrière regorge d’électronique. Et c’est en l’associant au contrôle du triple pendule Excitable Chaos que la performance se poursuit sous la forme d’une installation autonome. La musique qui s’improvise alors avec les règles préétablies par l’artiste n’est autre que la sonorisation harmonieuse des lois de la physique.

Particules interactives

Nest

Iregular, Nest, 2023.

Quittons l’Arsenal pour nous rendre dans le quartier du Mile End où se rassemblent quantité de centres d’art ou d’artistes autogérés entre autres galeries, comme celle d’Elektra qui présente le dispositif audiovisuel interactif Nest du studio Iregular. Longé sur le sol et tout en longueur, l’écran LED est habité d’une nuée de particules animées de comportements évoquant le collectif. L’essaim virtuel se met instantanément à suivre toute personne s’instruisant dans l’espace de l’œuvre. Le son se fait plus inquiétant alors que la multitude est à même de se diviser si quelqu’un a l’idée de perturber les relations élastiques des pixels à l’être irrémédiablement traqué. Une installation qui s’avère jouable en incitant le public à se familiariser avec ce que l’on pourrait tout aussi bien envisager tel l’instrument d’une musique du corps.

Au MAC de Montréal

Les arbres communiquent entre eux à 220 hertz

Nelly-Eve Rajotte, Les arbres communiquent entre eux à 220 hertz, 2024.

Nul amateur d’art n’irait à Montréal sans passer par son musée d’art contemporain qui, en travaux, poursuit ses activités hors les murs, mais toujours près de la rue Saint Catherine. La commissaire Marie-Eve Beaupré y a assemblé les œuvres d’artistes sous le thème des “femmes volcans forêts torrents”. Notons, parmi celles-ci, la présence de Nelly-Eve Rajotte qui est allée scanner la nature avec un Lidar. La technologie qui jamais n’est véritablement neutre évoque le pointillisme en peinture. Mais ce qui est saisissant, au sein de l’œuvre immersive Les arbres communiquent entre eux, c’est la qualité de sa lumière. Comme si l’artiste en avait capturé tous les photons. Au point que l’illumination de ses sous-bois n’a rien à envier à celles des tableaux de l’école de l’Hudson River.

Au Centre Phi

Broken Spectre

Richard Mosse, Broken Spectre, 2022.

Enfin, au Centre Phi, il y a un chef d’œuvre contemporain présenté par la commissaire Myriam Achard. C’est celui de l’installation filmique Broken Spectre de Richard Mosse qui poursuit sa tournée mondiale. Son sujet, c’est la déforestation en Amazonie dont il étire les représentations au sein d’une image panoramique que sans cesse il recompose dans la durée en divers écrans. Le feu y a une présence prédominante parmi les séquences ou s’enchainent les plans allant du proche au lointain, comme de noir et blanc à la couleur. C’est ainsi que l’artiste attribue à l’anthropocène de multiples formes qui ne servent qu’une unique esthétique, celle d’un cinéma expérimental se situant à la croisée de l’art et du documentaire comme la biennale Elektra est à la croisée de l’art et du numérique.

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