Biennale Chroniques

La quatrième Biennale Chroniques des Imaginaires Numériques se déploie en divers lieux de Marseille, Aix-en-Provence et Avignon. Y sont rassemblées nombre de créations en s’articulant cette année autour de la thématique du plaisir.

A Marseille

Speculum

Smack, Speculum, 2019.

A son lancement, c’est à la Friche la Belle de Mai de Marseille que les professionnels des arts numériques se retrouvent autour d’expositions comme Derniers Délices dans la salle Panorama où est installé Speculum du studio Smack. Cette installation vidéo est inspirée du triptyque Le Jardin des délices de Jérôme Bosch avec l’animation numérique en plus et l’interaction sociale en moins. Car si l’étrangeté est aussi de rigueur dans cette version contemporaine, il nous apparaît que chacune, chacun, soit enfermé dans sa propre folie.

Disco ball

Jeanne Susplugas, Disco ball, 2018.

Les sculptures de la série Disco ball de Jeanne Susplugas installées à l’entrée de l’exposition Plaisir Intérieur Brut se situant dans la Tour de la Friche Belle de Mai lui confère une allure festive. Leurs facettes miroitantes sont plus familières que leurs formes inspirées des structures moléculaires de psychotropes agissant sur nos états de conscience. Quand l’artiste souligne qu’en dansant nous sécrétons naturellement des hormones “de la joie”. Alors on danse, ne serait-ce que pour oublier tous nos tracas.

L’héritage de Bentham

Donatien Auber, L’héritage de Bentham, 2024.

La question de l’enfermement est encore centrale dans le film de Donatien Aubert, L’héritage de Bentham, également présenté dans l’exposition Plaisir Intérieur Brut. L’artiste y évoque l’invention de l’architecture carcérale panoptique par le philosophe anglais du XVIIIe siècle Jeremy Bentham créant le sentiment d’être sous une observation constante. Ce que nous éprouvons aujourd’hui tant à l’extérieur, eu égard aux systèmes de vidéosurveillance, qu’au sein des environnements numériques où l’on se sait épiés sans bien comprendre comment.

Touch some grass

Marit Westerhuis, Touch some grass, 2024.

Mais que serait le plaisir sans un soupçon de frustration qu’exprime l’installation Touch some grass de Marit Westerhuis mettant en scène quelques brin d’herbes qu’une grande boîte à gants avec isolateurs semble protéger de toute forme de contamination. On ne peut par conséquent pas “toucher de l’herbe” pour se reconnecter au réel en cette époque où il convient de protéger la nature pour ne jamais avoir à la surprotéger !

A Aix-en-Provence

Animal Locomotion

Ethel Lilienfeld, Emi, 2023.

A Aix-en-Provence, il n’y a pas moins d’une douzaine de lieux à visiter, dont celui du 21 bis Mirabeau où est présentée l’exposition Like moi avec notamment l’installation vidéo aux techniques mixtes EMI de Ethel Lilienfeld. Le personnage d’EMI est une influenceuse virtuelle, comme il s’en développe sur les médias sociaux, pour vendre des produits. Ici, c’est de la nourriture avec laquelle elle entretient un rapport particulier. Mais là, ce qui est en jeu, c’est l’étrange relation des consommatrices et consommateurs de tel “contenus” incarnés qui les structurent en communauté.

Demain si le jour se lève

June Balthazard et de Pierre Pauze, Demain si le jour se lève, 2024

Au Centre d’arts contemporains le 3 bis f, le duo June Balthazard & Pierre Pauze a investi le lieu avec l’exposition Demain si le jour se lève. Se présentant sous la forme d’une énigme portée par son titre, elle mêle les esthétiques filmiques du documentaire et de la fiction aux pratiques sculpturales contemporaines, confrontant des matériaux que jamais la lumière ne révèle complètement afin de préserver le développement de nos imaginaires.

Loops of the loom

Cécile Babiole, Loops of the loom, 2024

Parmi les expositions associées à cette biennale, celle intitulée Loops of the loom de Cécile Babiole au Musée des Tapisseries d’Aix-en-Provence présente des tissages sonores où la répétition est la règle. Tant celle des câbles audios tissés en motif que celle des sons ainsi véhiculés. La correspondance entre ce que l’on voit et ce que l’on entend est flagrante. En utilisant des échantillons de sa propre voix, l’artiste renvoie à la poésie sonore tel que Kurt Schwitters la pratiquait déjà durant la première moitié du siècle dernier.

Sexus Fleurus

Yosra Mojtahedi, Sexus Fleurus, 2021

Au Pavillon de Vendôme, une autre exposition individuelle est dédiée à Yosra Mojtahedi. Où l’on ne sait pas exactement ce que l’on observe, du vivant à l’inerte, entre organique et minérale. Aussi notre stupeur est grande quand l’artiste nous incite à toucher ses sculptures de l’hybride que quelques dessins aux fragments de formes explicites accompagnent. Ici, c’est davantage à Meret Oppenheim que l’on pense.

À Avignon

Humans need not to count

Varvara & Mar, Humans need not to count, 2017

A l’entrée de l’exposition Le futur est déjà là du Grenier à Sel d’Avignon, on découvre le bras robotique équipé d’un compteur manuel du duo Varvara & Mar que composent Varvara Guljajeva et Mar Canet. Le titre de l’installation, Humans need not to count, nous oriente sur la problématique de notre vacuité quand les robots remplacent les humains. A moins de considérer que les machines nous libèrent de la pénibilité… Deux points de vue s’affrontent et la question reste ouverte.

Third Hand

Stelarc, Third Hand, 1980

La réponse est peut-être davantage dans l’hybridation, comme le suggérait Stelarc en 1980 avec sa Third Hand robotique. Car elle est bien là sur son socle orné de la photographie documentant sa performance où, à la même époque, l’artiste rédigeait les trois fragments “EVO” “LUT” et “ION” du mot EVOLUTION avec ses trois mains. Il est intéressant de remarquer que, depuis la démocratisation des intelligences artificielles génératives, le débat s’est déplacé du corps vers l’esprit tout en soulevant les mêmes questions.

What shall we do next ? (séquence #2)

Julien Prévieux, What shall we do next ? (séquence #2), 2014

Parmi la douzaine d’artistes de l’exposition Le futur est déjà là du Grenier à Sel, il y a aussi Julien Prévieux avec What shall we do next ? (séquence #2). Il s’agit de la chorégraphie filmée de gestes brevetés par l’industrie du numérique. Nous en reconnaissons certains immédiatement, comme le “Pinch-to-Zoom”, alors que d’autres, plus singuliers, semblent encore être en quête d’usages…

Fifteen pairs of mouths

Esmeralda Kosmatopoulos, Fifteen pairs of mouths, 2016

Enfin, il y a l’installation aux sculptures de mains en plâtre Fifteen pairs of mouths de Esmeralda Kosmatopoulos où l’on retrouve, comme figées dans leurs actions, des gestualités contemporaines qui n’avaient aucun sens avant nos usages effrénés des écrans tactiles de nos téléphone portables. Les possibles d’hier sont devenus réalités d’aujourd’hui, où appareils et services asservissent nos corps et s’immiscent dans nos pensées.

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