Les grandes écoles participent à initier les tendances. C’est le cas de la School of the Art Institute of Chicago dont le département Art and Technology Studies a été initié dès 1969. Et c’est en analysant les œuvres significatives d’artistes y ayant effectué des recherches que l’on en vérifie l’excellence des enseignements.
Carlos Fadon Vicente, Vector 10b, 1989.
Depuis le milieu des années soixante-dix, Carlos Fadon Vicente n’a de cesse d’interroger les médias allant des images fixes à celles en mouvement - capturées ou diffusées - avec lesquelles il fait œuvre. Ce dernier est passé par le département Art and Technology Studies et c’est notamment pour les expériences qu’il y a mené à la fin des années quatre-vingt qu’il obtient un Leonardo Pioneer Award en 2018. Mais revenons en 1989 lorsqu’il se saisit d’une imprimante couleur à la School of the Art Institute of Chicago pour réaliser sa série des Vectors. Travaillant en totale symbiose avec une PaintJet de la marque Hewlett Packard, il en accepte même les erreurs d’impression. Plus encore, il se les approprie à une époque où l’informatique, se démocratisant, symbolise déjà la perfection des images. Dans une forme de lâcher prise dont seule la sérendipité a le secret, il devient en quelque sorte le premier spectateur d’une œuvre s’exécutant devant ses yeux. Cela fait de cet artiste brésilien l’un des pionniers de ce que, bien des années plus tard, on qualifiera de glitch art. Une tendance de l’art tout particulièrement appréciée par la jeune génération que l’extrême perfection des images en tout point contrôlées a fini par ennuyer.
Jason Salavon, The Top Grossing Film of All Time, 1 x 1, 2000.
Les œuvres de Jason Salavon qui ont intégré les collections du Metropolitan Museum of Art, du Whitney Museum of Art et de l’Art Institute of Chicago nous sont familières. Pourtant, sans leurs titres, elles ne seraient, pour la plupart d’entre elles, que pures abstractions. Lorsque l’artiste agglomère toutes les frames du film Titanic en une seule image, nous faisons appel à nos souvenirs de ce long métrage pour y distinguer les tons clairs du ciel et de la mer du début et ceux plus foncés de la nuit du naufrage de la fin. The Top Grossing Film of All Time, 1 x 1 de 2000, nous offre la visualisation de toutes les teintes de ce même film au travers d’un grand nombre de pixels qui, étrangement, s’assemblent si parfaitement même pour celles et ceux qui n’auraient pas visionné le long métrage de James Cameron. Avec Every Playboy Centerfold, The Decades (normalized) de 2002, c’est du corps de la femme et du regard masculin dont il s’agit. Car Jason Salavon a fusionné, par décennie, les affiches centrales d’un magazine que tout le monde connaît, au moins de réputation. Il s’agit par conséquent de la fusion de 120 corps par image. Les représentations résolument picturales qui en émergent évoquent l’empreinte, et plus précisément celle du Suaire de Turin. Dans ce cas, l’amateur de peinture apprécie la qualité des flous qui traduisent la profondeur des images alors que le sociologue y décrypte l’évolution, dans le temps, des poses ou morphologies émergeant de la fusion de représentations extrêmement codifiées. Par la synthèse et dans son usage des data, Jason Salavon nous offre des interprétations distanciées de fragments entiers de nos cultures populaires.
Susan Collins, Excavation, 2012.
Le travail de Susan Collins s’inscrit définitivement dans la durée. La durée des processus qui lui permettent, par exemple, de capturer ses images de la série Seascape (2009) pixel après pixel et ligne par ligne. Son travail nous renvoie aussi bien à la durée en peinture de chevalet qu’à celle de l’origine de la photographie. Ses paysages marins fusionnent les temporalités témoignant d’autant de luminosités alors que le balayage inhérent au procédé d’acquisition renforce l’extrême horizontalité des points de vue. Mais Susan Collins sait aussi investir l’architecture en allant de l’intime au monumental. L’intime, quand elle projette le geste d’un archéologue à même le sol d’une église en 2012. Ce geste, c’est celui d’une Excavation dont on ne sait pas exactement si elle est passée ou à venir en ce lieu d’historique de l’All Saints Church d’Harewood (Royaume Uni). N’en recouvrant que quelques dalles, Susan Collins ne s’adresse qu’à de rares spectateurs privilégiés. A l’inverse, en 2013 avec Brighter Later réalisé à l’observatoire Radcliffe d’Oxford, elle s’adresse au plus grand nombre. Du coucher au lever du soleil, son installation lumineuse informe les populations environnantes sur les variations climatiques : température, pression, précipitation, vent… A une époque où chaque individu est à l’affût des moindres alertes de ses objets connectés personnels, cette artiste a choisi de crée une interface d’observation collective.
Byeong Sam Jeon, The men with five tongues, 2016.
Même les objets les plus ennuyeux, lorsqu’ils sont habilement assemblés et en quantité suffisante, sont susceptibles de nous intriguer. Ainsi, il est des artistes comme Byeong Sam Jeon qui savent faire émerger la magie que recèlent les objets de notre quotidien en les multipliant savamment. La pratique de cet artiste s’inscrit dans la démesure lorsqu’il décide, en 2015, de recouvrir la façade d’une fabrique de tabac abandonnée avec près de 500 000 CDs. Le choix d’un tel support est intéressant puisqu’il a fasciné ses utilisateurs dans les années 1990 par la quantité des données contenues. Puis, une innovation en remplaçant une autre, il a fini par lasser pour disparaître des rayons de nos supermarchés - lieux de l’accumulation par excellence. Mais l’intérêt du CD Project réside aussi dans le fait que les CDs ont été offerts par des gens ordinaires confiant ainsi quelques données personnelles à l’artiste. Et nul ne sait la nature des data qui constituent la robe argentée d’un bâtiment industriel où résonnent encore les gestes répétés des travailleurs d’antan. Il y a toujours, bien au-delà de la monumentalité des installations de Byeong Sam Jeon, une part symbolique comme c’est encore le cas avec The men with five tongues (2016). Cette œuvre rassemble, dans une relative obscurité, une centaine de ventilateurs que le public déclenche en s’en approchant. Le titre de l’œuvre nous encourage ainsi à reconsidérer la violence des propos de celles ou ceux qui sont protégés par l’anonymat en ligne. C’est-à-dire au sein de cette nouvelle agora qu’est l’espace des médias sociaux.
Philomène Longpré, Cereus, Queen of the Night, 2009-2013.
S’il est des œuvres de l’hybride, Cereus, Reine de la Nuit (2009-2013) de Philomène Longpré en est une car elle s’inscrit à la croisée des pratiques de la sculpture, de la robotique, de l’image et du son. Ce qui en fait, d’une certaine manière, l’œuvre d’un art total, une notion née avec le romantisme allemand au XIXe siècle pour réémerger dans les années 1950 avec les artistes du Black Mountain College. Au centre de Cereus, Reine de la Nuit, il y a une femme qui performe au sens propre comme au sens figuré. Quand le titre de cette installation immersive nous dit son statut. Mais c’est le support de l’image vidéo projetée qui crée le contexte de son environnement que chacun interprétera à sa manière. Car il est à la fois fleur ou cocon en même temps que sa part robotique en fait un objet technique. C’est ainsi que la sculpture protège l’image qu’en même temps elle renferme. Ce qui fait de cette Reine de la Nuit la prisonnière de l’objet qui la fait exister. Sans omettre que la sculpture-écran de Cereus réagit aux modifications de son environnement immédiat. Notons aussi que les sons inhérents aux mouvements mécanisés de ses pétales translucides s’ajoutent à ceux de la musique de la pièce qui se joue devant les spectateurs. Le film Cereus, Reine de la Nuit est aussi celui d’un Cinéma Étendu que Gene Youngblood théorisait dès 1970, soit bien avant que des générations se succédant s’en emparent en le renouvelant avec les technologies de leur temps.
Sophie Kahn, Periode de Clownisme, F, 2014.
Le sujet d’étude de Sophie Kahn, c’est l’humain. Elle en expérimente les possibles représentations tant par l’image fixe ou en mouvement qu’avec la sculpture. Son outil de prédilection est un scanner 3D dont elle sait pourtant les limites lorsqu’il s’agit de capturer les fragments de corps qui, jamais, ne sont véritablement immobiles. Car l’acte d’acquérir des modèles en trois dimensions induit généralement des temps de pose qui nous renvoient une fois encore aux origines de la photographie bien que l’artiste se réfère davantage à celles de la radiographie. Les manques de points, de lignes, de surfaces ou matières convoquent l’idée d’inachèvement en peinture comme en sculpture. Quand, lorsqu’il s’agit de chefs-d’œuvre, l’essentiel est pourtant bien là. Aux arrière-plans monochromes blanc ou noir de ses tirages ou séquences, correspondent les parts d’invisible de ses sculptures. Si certains visages semblent avoir été brulés et des membres mutilés, il n’est pourtant pas question de quelque souffrance que ce soit. Lorsqu’il s’agit de corps entiers, ils nous apparaissent réassemblés comme dans les musées de l’homme et de la nature. Le travail de Sophie Kahn consiste à capturer la vie pour en révéler la part d’éternité qui sommeille en chacun d’entre nous. Des parts d’éternité qui se révèleront ailleurs et autrement. Car c’est la mort qui donne tout son sens au vivant. Ce que bien des civilisations du passé ont exprimé dans la création de masques funéraires, véritables portraits en creux de celles et ceux dont les avatars tridimensionnelles sont éternelles.
Samuel Adam Swope, Banana Mission; a monkey behavioral study, 2010.
Samuel Adam Swope combine le naturel et le technologique d’une manière tout à fait singulière. Notamment reconnu pour sa pratique d’un art “aérien”, il crée des installations s’inscrivant dans les airs pour évoquer l’idée de vol. Cette pratique d’un art “aérien” lui permet de « rendre des volumes d’air davantage perceptibles ». Il a pour habitude de concevoir des objets ou environnements pour le moins curieux afin de créer des situations convoquant tant le jeu que le poétique. C’est ainsi qu’il nous présente des appareils improbables s’affranchissant des normes en produisant des spectacles éphémères qui illustrent nos rêves de vol. Cette approche est tout particulièrement évidente avec le Banana Copter hybridant la nature aux technologies au travers d’une banane volante conçue pour le projet Banana Mission; a monkey behavioral study (2010). La séquence vidéo de Banana Mission a été tournée à Hong Kong où, décollant d’un marché, le Banana Copter va à la rencontre des singes sauvages du Kam Shan Country Park (aussi connus sous le nom Colline aux singes). En 2017, avec Ecotone, Samuel Adam Swope pratique une forme de renversement en hybridant les technologies à la nature au sein d’une galerie d’art. Une installation lui permettant alors de raconter une histoire avec une créature volante constituée de plantes et de composants électroniques et à la présence fantomatique. Toutes ses œuvres questionnent la notion de non-humain inhérente aux technologies de l’autonomisation, tout en problématisant la place de l’humain au sein d’un monde ou l’hybride est devenu la règle.
Joshua Mosley, Jeu de Paume, 2014.
Joshua Mosley est un artiste de l’hybride qui pratique une forme de cinéma étendu en associant des procédés anciens datant de la période pré-cinématographique - comme le stop motion - aux technologies les plus avancées de post-production. En tant que réalisateur, il obtient des courts-métrages d’animation dont les sujets sont singuliers. Ils sont souvent présentés sous la forme de boucles d’animation dans des contextes d’art contemporain comme à la Biennale du Whitney de 2014 avec Jeu de Paume. Quant au public, il ne peut que de se laisser porter par les histoires de saynètes où le réel apparaît sublimé. Car jamais nous ne savons véritablement ce que nous observons tant les matériaux allant de la glaise aux modèles réduits s’entremêlent aux médias associant le dessin, l’aquarelle et la photographie aux images 3D. Joshua Mosley est aussi un artiste du détail qui sème des indices dans ses univers. Des indices de nature à perturber notre perception sans jamais nous extraire de scénarios empruntés à l’histoire des sciences humaines. Dans Dread, par exemple, les philosophes français Jean-Jacques Rousseau et Blaise Pascal s’entretiennent notamment sur la condition humaine. Et, comme pour ne rien omettre, l’artiste nous livre sur son site les étapes de production de ses créations. Où l’on vérifie à quel point son esthétique de l’hybride s’inscrit à la croisée des techniques et technologies mises en place.
John Gerrard, Western Flag (Spindletop, Texas), 2017.
Les moteurs 3D sont au jeu vidéo ce que la post-production est au cinéma. Avec leur apparition dans les années 1990, le grand public découvre enfin les attraits de l’immersion combinée à l’interaction. La puissance des machines ne cessant de s’accroître, les rendus de ces applications n’ont cessé de s’approcher d’une certaine idée du réel. Et c’est durant les année 2000 que John Gerrard - passant lui aussi par le département Art and Technology Studies de la School of the Art Institute of Chicago - se focalise sur le potentiel narratif de simulations génératives. Ses paysages sans débuts ni fins s’offrent à la contemplation en d’infinies variations au travers de trajectoires de caméras dont on remarque immédiatement l’extrême lenteur. Une lenteur qui s’oppose au jeu vidéo dont, pourtant, l’artiste emprunte l’esthétique. En 2009, c’est à la 53e Biennale de Venise que le monde de l’art est saisi devant ses paysages vidéo projetés de grandes dimensions évoquant les plaines du Midwest. Plus récemment, l’une de ses œuvres résonne avec le chalenge auquel l’humanité doit faire face : le réchauffement climatique. Il s’agit du Western Flag que l’artiste a virtuellement planté en 2017 à Lucas Gusher. L’œuvre est littéralement “à l’heure” du Texas qui symbolisa autrefois le développement économique grâce à une ressource naturelle qui allait changer le monde : le pétrole. L’étendard qui, d’ordinaire, exprime la fierté et dont le tissu a été remplacé par une épaisse fumée noire évoque la fin d’un monde. Celui où la consommation effrénée ne peut mener qu’à une catastrophe annoncée que nous pouvons, on l’espère, encore éviter.
Stephanie Andrews, Ghost Forest, 2016.
Depuis ses origines, le cinéma s’est développé selon deux voies bien distinctes dont l’une est davantage industrielle et l’autre résolument expérimentale. Le département dédié à l’acquisition des technologies de création d’une école d’art se doit de préparer ses étudiants simultanément à de telles orientations aussi différentes soient-elles, en apparence tout du moins. Sachant qu’il est des artistes comme Stephanie Andrews qui se jouent des frontières en pratiquant des allers et retours entre un cinéma commercial et celui d’expériences. Elle a, par exemple, assuré des postes de directrice technique pour des films d’animation à grand succès comme A Bug’s Life ou Toy Story 2 pendant la fin des années 1990. Ses recherches plus récentes l’ont conduit à proposer des expériences aux spectateurs qu’elle équipe de casques de réalité virtuelle. Ces derniers, devenant les acteurs principaux de Ghost Forest (2016), savent qu’ils sont dans deux endroits différents en un même temps : dans le lieu possiblement urbain où ils portent un casque de réalité virtuelle et dans celui, d’une nature reconstituée, qu’ils perçoivent tout autour d’eux. Avec Shards (2017), l’expérience se complexifie progressivement dès lors que l’utilisateur est plongé dans l’espace vide d’un monochrome en trois dimensions. Car il a la possibilité, dans la durée de son expérience, de révéler les fragments des mondes multiples qui, virtuellement, l’entourent en cohabitant. Le devenir de l’industrie du cinéma se joignant à celle du jeu vidéo ne serait-il pas dans l’expérience ?
Andrea Polli, Energy Flow (source Jared Rendon Trompak), 2016.
Andrea Polli est une artiste de l’environnement qui, au travers de ses créations souvent monumentales, nous alerte. L’une de ses installations lumineuses parmi les plus présentées, notamment aux États-Unis, s’intitule Particle Falls. Et c’est aux principaux acteurs politiques du monde entier qu’elle s’adresse en 2015 lorsqu’elle investit le mur d’une façade jouxtant le Mona Bismarck American Center de Paris. Car il se tient, à ce même moment et en cette même ville, la 21e conférence des Nations Unies sur le changement climatique dont nous attendions d’importantes décisions politiques visant à agir mondialement sur le réchauffement climatique. L’œuvre projetée représente une cascade d’eau bleue symbolisant la pureté. Mais, étant connectée à un capteur dans sa proximité, elle se transforme en un déferlement de flammes lorsque la qualité de l’air indique une présence trop élevée de particules fines dans l’environnement. Les peurs contemporaines se terrent dans l’invisible et la pollution de l’air compte parmi celles-ci. Aussi, l’œuvre Particle Falls est de nature à nous alarmer quant à la qualité de l’air que nous respirons tout en la contemplant. Energy Flow est une autre œuvre lumineuse d’Andrea Polli. Mais celle-ci est pérenne, depuis 2016, et augmente le Rachel Carson Bridge de Pittsburgh d’une myriade de lumières LED alimentées par des turbines accrochées à la structure de l’ouvrage. C’est ainsi que, du coucher au lever du soleil, les habitants de Pittsburgh peuvent vérifier visuellement le potentiel énergétique du vent. Les artistes, entre autres designers, ont inévitablement un rôle à jouer dans la nécessaire transformation énergétique que les entreprises, villes ou États, se doivent d’initier sans tarder.
Trevor Paglen, Untitled (Reaper Drone), 2010.
S’il est un artiste de l’invisible, c’est bien Trevor Paglen qui use de la photographie, entre autres medium, pour nous révéler ce que d’ordinaire nous ne pouvons ou ne savons pas voir. Dans les images de sa série Limit Telephotography initiée en 2007, les infrastructures militaires secrètes qu’il nous présente sont moins intéressantes que les flous dus à l’épaisse couche d’atmosphère, de chaleur et de poussière qui les protège du regard. Le véritable sujet de ces mêmes clichés étant la distance qui en interdit l’approche. Avec Untitled (Reaper Drone) de 2010, le sujet “drone” peut nous apparaître tel un prétexte à photographier des cieux du matin ou du soir qui nous évoquent tant les peintures de William Turner que les photographies d’Ansel Adams. Bien qu’il y ait en chacune de ses images d’infimes détails dont les légendes nous disent les menaces en termes de constante surveillance ou de possible frappe. Et il y a les NSA-Tapped Undersea Cables, North Pacific Ocean (2016) qui nous rappellent la matérialité du maillage Internet que des entreprises et États se partagent.
Huong Ngo, Reap the Whirlwind, 2018.
Terminons cette étude de cas non exhaustive par une exposition de Huong Ngo qui nous ramène à Chicago en 2018. Son titre, Reap the Whirlwind, évoque l’idée de conséquences à assumer et, dans ce cas précis, celles relatives à un passé colonialiste français en Indochine. Sachant que l’artiste, basée à Chicago, travaille aussi entre la France et le Vietnam. Et que son œuvre met en scène les fragments d’une histoire personnelle qu’elle assemble avec des événements ou personnages historiques, à l’instar de Nguyen Thi Minh Khai, jeune militante communiste qui perdit la vie à l’âge de 31 ans dans une prison coloniale. Dans cette exposition, la documentation est essentielle. Elle côtoie les créations et fait œuvres avec elles. La figure de la concubine évoquant la relation d’une femme indochinoise, idéalement jeune, avec un homme français, possiblement puissant, y est centrale. La concubine, dans sa relation au colon que d’une certaine manière elle contrôle, est envisagée comme politiquement engagée dans les livres d’artistes engageant le corps du spectateur. Car c’est en apposant les mains sur les pages des volumes que la chaleur en révèle temporairement les caractères. Comme autant de secrets de famille que l’on peine à évoquer avant de les oublier à nouveau. Huong Ngo s’inscrit dans cette tendance récente de l’art contemporain qui déplace les limites entre le document, l’œuvre et sa documentation.
Tous ces artistes ont en commun d’avoir effectué des recherches au sein du département Art and Technology Studies de la School of the Art Institute of Chicago qui, ces cinquante dernières années, n’a cessé de se structurer pour accueillir au mieux des étudiants ou artistes en devenir du monde entier. Afin que ceux-ci s’inscrivent dans la continuité des recherches de leurs prédécesseurs ou, mieux encore, initient par eux-mêmes de nouvelles tendances de l’art dans l’usage des technologies de leur temps.