Art & NFT

S’il y a des technologies dans l’art depuis la fin des années 1960 et des œuvres sur l’Internet depuis le milieu des années 1990, il aura fallu attendre 2021 pour que le marché de l’art s’en aperçoive suite à quelques ventes record en NFT.


Les non fungible tokens, ou NFTs, ne sont autre que des certificats d’authenticité stockés au sein de registres sécurisées par les technologies blockchain. De tels “jetons” sont dits “non fongibles” car ils n’équivalent à rien d’autre que les œuvres auxquelles ils sont associés. Ces dernières s’achètent le plus souvent en Ethereum, une cryptomonnaie semblable à la plus célèbre Bitcoin. Les transactions se font directement entre artistes et collectionneurs sur des plateformes apparues en 2017. Certaines sont accessibles à toutes et à tous (OpenSea ou Rarible) tandis que d’autres (Nifty Gateway, Foundation ou SuperRare) le sont sur invitation ou par dossier. De son côté, la plateforme hic et nunc – dont le nom renvoie à la notion d’authenticité chez Walter Benjamin – est davantage participative. En soit donc, rien de très nouveau si ce n’est que le modèle NFT rassemble l’art, le numérique, l’internet et la rareté en connectant directement les artistes aux collectionneurs. Ce sont les transactions qui, en nombre croissant et dont les valeurs sont parfois exorbitantes, qui ont récemment attiré l’attention du marché de l’art.


Test Studies

Albertine Meunier, Motionless panties on a satellites train, 2021.

Albertine Meunier, dont on sait l’attachement à l’Internet et aux data, s’est rapidement intéressée à cette nouvelle tendance “crypto” de l’art au point d’en faire l’expérience en tant qu’artiste et collectionneuse. Elle apprécie la plateforme SuperRare dont l’interface traite de manière égale créations et collections. Pratiquant l’appropriation, l’artiste y a déposé le collage animé Motionless panties on a satellites train. Le cosmonaute du premier plan rappelle à quel point la conquête spatiale fascine encore – même dans sa version commerciale figurée par les satellites d’Elon Musk qui se succèdent dans l’arrière-plan d’un ciel sans étoile comme le font les wagons d’un train de nuit. L’animation GIF s’inscrit dans la continuité d’une autre œuvre, Dad Won't Come Back, que l’artiste française documente sur son site au fil de son élaboration. Revendiquant une forme de penser par le faire, elle apprend de ses expériences, à l’instar du fondateur de SpaceX, nommant les barges de récupération de ses lanceurs avec des intentions quelque peu poétiques comme Of Course I Still Love You. Pourtant, il s’agit de la plus vaste des opérations de colonisation de l’espace jamais envisagées.


How happy a Thing can be

Baron Lanteigne, #metawork 2, 2020.

Sur SuperRare, il n’y que des œuvres originales et, comme sur les autres plateformes, toutes les enchères sont consultables bien que ce soit sur Twitter que tout se joue en termes de communication et d’échange. C’est ainsi que Baron Lanteigne a décidé d’intégrer de telles informations au sein des œuvres qu’il y dépose. La plateforme participe ainsi du sujet de l’œuvre que dans un même temps elle présente. L’esthétique tridimensionnelle de ses boucles d’animation au format MP4 oscille entre réel et virtuel au travers de transitions où les objets techniques de notre quotidien, littéralement, se liquéfient. Au point que l’on ne sache plus bien ce que l’on observe quand les tablettes, entre autres écrans, qui peuplent ses images sont contextualisées au sein d’espaces d’expositions reconstitués. Enfin, la légende de #metawork 2 indique qu’il s’agit d’un prototype dont le but est de permettre à l’artiste québécois de visualiser l’intégration des pièces de sa série Tangible Data dans l’espace réelle de galeries ou de centres d’art. Ici encore, la plateforme accueille l’étape d’un travail qui s’écrit dans la durée.


One of Them Is a Human

Sabrina Ratté, Monade, 2021.

Foundation fait figurer toutes ses enchères en temps réel sur sa page d’accueil. Et l’on comprend l’importance de Twitter au regard de la mise en évidence des comptes des artistes qui, comme Sabrina Ratté, y ont une présence. Ou quand les communautés d’artistes et de collectionneurs créent de la valeur. Sur sa page, l’artiste québécoise poursuit une série intitulée Monades avec une boucle d’animation. Le corps qui, lentement se déforme comme un sablier, évoque le surréalisme en peinture. Une tendance de l’art que l’usage d’applications en trois dimensions réactive. Mais ce corps est à l’image du sien qu’elle a méticuleusement fait photographier sous tous les angles pour en obtenir un modèle virtuel à l’évidente sculpturalité. Se faisant, elle convoque une pratique du XIXe siècle, la photosculpture, tout en étant à la fois modèle et artiste. Quand l’espace de présentation de son autoportrait nous apparaît tout particulièrement immatériel comme c’est généralement le cas chez elle. Notons que Sabrina Ratté propose les fichiers haute résolution de ses univers virtuels à ses collectionneurs de NFTs qui, souvent, se satisfont de leurs collections en ligne visibles par toutes et tous.


Terminal Beach

Rafaël Rozendaal, Fear of Choice, 2019.

Depuis une vingtaine d’années, Rafaël Rozendaal associe, quant à lui, des œuvres à des noms de domaine. Et lorsqu’un collectionneur en fait l’acquisition, son nom apparaît dans la barre de titre. L’intérêt qu’il porte aux NFTs n’a donc rien étonnant, d’autant qu’il est lui-même à l’origine d’un contrat datant de 2014 et destiné à lier les artistes aux collectionneurs d’œuvres Internet. Notons que les artistes perçoivent un pourcentage à chaque fois que les jetons de leurs créations sont revendus. Mais revenons à cet artiste néerlandais/brésilien qui apprécie Foundation tant pour la qualité de sa communauté que pour son interface en grille de carrés, une forte tendance. Son approche de l’art, généralement abstraite, est aussi géométrique que colorée alors que ses titres sont parfois quelque peu énigmatiques. Avec Fear of Choice, c’est l’idée d’un recul ou d’un éloignement où les détails finissent toujours par former un tout qui les représente. Ou l’idée, peut-être, que la distance permet aussi de ne pas se prononcer en ce monde de clivages. Enfin, s’il est des succès en NFT que l’on peine à admettre, celui de Rafaël Rozendaal tient à la longévité de ses recherches.


The Grass Smells So Sweet

Frederik de Wilde, AI Beetle, 2021.

Tout comme Frederik de Wilde, bien des artistes optent pour plusieurs plateformes de NFTs. C’est ainsi que, si ce dernier a accepté l’invitation de Foundation, il a davantage de créations sur hic et nunc où les échanges se font en Tezos. Car il sait que cette cryptomonnaie est plus respectueuse de l’environnement que la plupart de ses concurrentes ayant le défaut, actuellement, d’être énergivores. Parmi ses créations, nous reconnaissons instantanément quelques scarabées dont les motifs aux couleurs saturées interrogent. Or, c’est précisément ce qui, humain, nous interrogeant, trompe la machine. L’objectif du Belge, rompu à l’usage des algorithmes de réseau de neurones artificiels, est d’inventer un camouflage qui serait à même d’handicaper les systèmes intelligents de reconnaissance de formes. Se faisant, il pratique une sorte de contre surveillance dans le champ de l’art. Il est intéressant de remarquer que les artistes contemporains aux cultures et pratiques numériques qui ne sont pas toujours en galerie s’intéressent très naturellement aux plateformes de NFTs. Logique, c‘est leur culture et elles sont adaptées à leur pratique.


The Grass Smells So Sweet

Antoine Schmitt, Carré Noir XTZ, 2021.

Hic et nunc est une plateforme open source qui autorise l’intégration de scripts en plus d’images fixes ou animées. Ce qui n’a pas échappé à Antoine Schmitt qui y présente notamment Buy me !. Une œuvre générative autonome qui tente d’attirer les chalands avec des accroches textuelles. Elle nous dit par exemple : « Save money ! Collect me ! ». Une façon, pour le français, d’ironiser sur les artistes qui “draguent” les collectionneuses et collectionneurs sur Twitter. Buy Me ! est entourée d’une quinzaine d’autres carrés noirs au format PNG au sein desquels on suit les déambulations d’un pixel blanc ayant été à la fois attiré et refoulé par un autre carré noir se situant au centre. Cette attirance pour le carré, le français l’assume pleinement. Force est de reconnaître que l’art moderne et contemporain entretient un rapport très particulier avec cette forme qui appelle à l’abstraction et à la série. Aussi, il est intéressant de remarquer que le carré est certainement le cadre le plus rependu sur les plateformes NFT. Une situation possiblement héritée de la grille d’Instagram ayant inspiré bien des concepteurs d’interfaces.


The Grass Smells So Sweet

Jonas Lund, Jonas Lund Tokens (2018), à la Reflector Gallery, Bern, en 2019.

L’artiste Jonas Lund est assez critique à l'égard les NFTs dont il considère qu’ils profitent essentiellement aux plateformes qui facturent l’usage de la blockchain aux artistes en encaissant des commissions sur les ventes aux collectionneurs. Aussi il s’en amuse en créant sa propre cryptomonnaie : le Jonas Lund Token. Ce qui permet aux actionnaires ou investisseurs d’agir sur sa carrière artistique. C’est-à-dire qu’il soumet ses idées à un conseil d’administration, comme dans une entreprise, avant de s’exécuter lorsqu’il y a consensus. C’est donc la carrière de l’artiste qui fait la valeur des jetons de celles et ceux qui l’accompagnent en validant les œuvres ou expositions émergeant du projet. Et l’artiste suédois de constater que, si la bulle spéculative des NFTs a essentiellement été alimentée par des spéculateurs en cryptomonnaie, le bruit qu’elle génère a le mérite d’attirer l’attention sur des tendances numériques que l’écosystème de l’art n’a pas toujours su accueillir. Ajoutons à cela que l’engouement pour les jetons non fongibles pourrait bien retomber, mais que nous n’en avons pas terminé avec la blockchain, dans l’économie, dans l’art et dans bien d’autres domaines.


Articles