Signal - Espace(s) Réciproque(s)

La biennale itinérante européenne Manifesta passe par Marseille pour sa treizième édition. Dans son sillage, nombreux sont les événements artistiques, comme l’exposition Signal-Espace(s) Réciproque(s) qui se tient à la Friche la Belle de Mai sur une proposition du Centre Wallonie-BruxellesMai.


Composite

Julien Maire, Composite, 2018-2020.

De quelque nature qu’ils soient, les signaux induisent d’être traités comme on le fait notamment avec les technologies de l’information et de la communication. Celles-ci sont justement au cœur du propos de Julien Maire dont l’installation Composite nous accueille à l’entrée de l’espace d’exposition se situant dans la tour-panorama de la Friche la Belle de Mai. Un mystérieux appareil dont on ignore la fonction est entouré d’écrans. Sur l’un d’eux, on devine des antennes en quête de signaux provenant du lointain, donc du passé. C’est en comprenant que l’appareil en question est un graveur micrométrique que l’on réalise que les dessins affichés sur les écrans ont été gravés à même les surfaces des capteurs de micro-caméras. L’artiste, dont on sait l’attachement pour les techniques de captation, a par la suite réactivé les caméras de façon à ce qu’elles filment l’espace de l’installation. Nous entrons donc ponctuellement dans les images de l’œuvre dont les signaux vidéo sont augmentés des dessins les altérant.


Zoryas, electronic activity of the sun

Claire Williams, Zoryas, electronic activity of the sun, 2019.

L’installation lumineuse Zoryas, electronic activity of the sun de Claire Williams a elle aussi un aspect expérimental tant son allure convoque les appareils scientifiques du XIXe siècle. Le spectacle se joue à l’intérieur de conteneurs en verre aux formes organiques. L’énergie qui s’y déploie témoigne de l’ionisation de gaz nobles par des champs magnétiques. En art visuel comme en sciences de la nature, l’observation est une étape essentielle. Quand l’émerveillement est propice tant à l’imagination qu’à la compréhension. Les phénomènes que l’artiste active apparaissent sans échelle pour qui accepte de s’imprégner de l’œuvre. Le son accompagnant ce qui se produit sous nos yeux est aussi perceptible par la conduction osseuse de nos coudes en appui sur la table de l’expérimentation. C’est ainsi que Zoryas élargit notre imaginaire au cosmos, là où se produisent des phénomènes que l’on ne saurait encore expliquer faute de les avoir observés.


Vidéosculpture XIV (Shudder)

Emmanuel van der Auwera, Vidéosculpture XIV (Shudder), 2017.

Parmi les thématiques de cette exposition, il y a l’invisible que représente tout particulièrement bien l’installation Vidéosculpture XIV (Shudder) de Emmanuel van der Auwera car les écrans qui la composent ne permettent pas de visualiser les images – des archives filmiques – que pourtant ils diffusent. Les séquences sont en effet délivrées par une surface miroitante noire située au sol qui les reflète. Au XVIIe siècle, le peintre Claude Lorrain avait pour habitude d’observer le monde au travers d’un tel dispositif qui fut baptisé le “miroir de Claude”. Car le réel, parfois, doit être observé via des stratagèmes. Ce que les scientifiques, dans leurs pratiques d’observation, confirmeront. La sculpture vidéo de l’artiste belge aborde donc la question du point de vue, cher aux peintres, associé à l’usage du filtre comme on l’utilise en photographie et, par extension, en cinéma qu’Emmanuel van der Auwera n’envisage qu’étendu.


One Second of Silence (part 1, New-York)

Edith Dekyndt, One Second of Silence (part 1, New-York), 2008-2009.

La question du point de vue est omniprésente dans cette exposition, jusque dans sa scénographie. Spectatrices et spectateurs doivent en effet scruter l’espace bien au-delà de leur champ de vision habituel pour localiser toutes les créations qui y sont présentées. Quand bien même il n’y ait rien d’extraordinaire à présenter un drapeau en hauteur comme c’est le cas pour celui de Edith Dekyndt. Et c’est à sa hampe que l’on distingue l’étendard dans la séquence vidéo qui le documente. Car ce qui semble flotter au vent est transparent et l’artiste d’associer cette forme d’invisibilité au travail du silence par John Cage. L’éradication de toutes les couleurs d’un tel drapeau l’éloigne des nations que d’ordinaire il représente. Par un acte radical, cet étendard minimal devient ainsi possiblement celui de tous les pays du monde. Une certaine idée du vivre ensemble que le politique réfute fréquemment, mais qui aurait encore toute sa place dans la sphère de l’art, et plus largement des idées.


Under Automata

Eva l’Hoest, Under Automata, 2016.

Enfin, parmi la vingtaine d’œuvres présentées avec cette idée d’observer le monde autrement, il y a l’installation vidéo intitulée Under Automata. Réalisé par Eva l’Hoest, ce film d’un nouveau genre n’a pas été tourné avec une caméra mais capturé avec un scanner. On y découvre des gens dormant dans la durée étendue d’un vol long-courrier. La lenteur est donc de mise et il ne se passe rien d’autre qu’une interminable attente. Le procédé utilisé fait fusionner les corps mutilés par le manque de matière avec les sièges du premier rang. Seul le traveling latéral d’un couloir sans fin est cinématographique. De leur côté, les images renvoient au calcul plus qu’à l’objectif. Le cinéma, depuis les prémisses même de son invention, est irrémédiablement lié aux technologies qui en organisent les mutations régulières. Il s’agit ici encore d’une forme de cinéma étendu qui a émergé avec l’usage de la vidéo dont les images sont véhiculées depuis son apparition par un signal.


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