L’exposition Coder le monde du Centre Pompidou s’ouvre sur une sérigraphie de François Morellet. Son titre,Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire de téléphone, 50% blanc, 50% noir, nous en dit la forme avec une grande précision. Datant de 1961, elle n’est en rien numérique si ce n’est qu’elle se réfère aux nombres car, faut il le rappeler, le terme numérique nous vient du latin numeruspour “nombre”. Sans omettre que cette pièce aussi conceptuelle que processuelle consiste en la mise en œuvre d’un énoncé que l’on pourrait tout aussi qualifier d’algorithme. L’intérêt de cette exposition du Centre Pompidou réside notamment dans la mise en dialogue d’œuvres diversement numériques, tant historiques que contemporaines. C’est ainsi qu’un coffret d’Olga Kisseleva datant de 2012 jouxte la pièce de François Morellet. Mais les pixels imprimés des dés que recèle la Boîte de vicesde cette artiste vivant et travaillant essentiellement à Paris ne sont que des composants d’une œuvre qui se poursuit en ligne. Là où, précisément, elle nous dit les vices cachés de quelques proches. L’œuvre, dans ce cas, est un objet connecté qui nous renvoie aux commentaires que parfois l’on s’autorise sous couvert d’anonymat. Bien que sa forme s’inscrive dans la continuité des pratiques historiques de la mise en boîte qui ponctuent le vingtième siècle.
Ce sont donc des allers et retours que l’on effectue au sein de cette exposition résolument didactique considérant les grands panneaux d’informations qui l’organisent en chapitres. L’un évoquant les Nombres, codes et programmes,l’autre Les algoristesou encore la Littérature, en ce qui concerne la première salle. Or, il est résolument question d’une forme de poésie avec la pièce connectée du duo disnovation.org. Il s’agit d’un Predictive Art Bot(2017) ou robot de prédiction qui nous dit, textuellement, les possibles tendances artistiques de demain. Programmé par Nicolas Maigret et Maria Roszkowska, il scrute Twitter sans discontinuer pour formuler pas à pas des concepts d’œuvres ou tendances qui, au-delà de l’absurde, parfois prennent sens. La question ici est clairement énoncée : une machine serait-elle un jour en mesure de faire œuvre en toute autonomie ? On peut raisonnablement en douter au regard des balbutiements de l’intelligence artificielle, mais l’idée est là, devant nous, et fait parfois sens bien que sans conscience aucune.
On nous annonce, à l’entrée de la seconde salle, un catalogue en devenir. Ce qui est une excellente initiative sachant la quantité de documents autour desquels s’articule cette exposition. Mais revenons aux œuvres qui induisent de se rendre au musée pour en apprécier tant la taille que les détails. Où l’on retrouve quelques acquisitions du Centre Pompidou comme les deux épreuves numériques de Mishka Henner. De 2011, leurs titres nous disent les lieux photographiés depuis les satellites de Google. Car le photographe agit sans appareil. Et s’il a erré sans fin, prêt à capturer des images, c’est au sein du service en ligne Earth. Car il est des Etats qui, sachant leurs territoires révélés au monde par l’entreprise américaine, ont obtenu de celle-ci qu’elle masque les sites considérés sensibles. C’est ainsi que, au Pays Bas, il est des coloriages que l’on pourrait attribuer à des enfants de l’atelier du Centre Pompidou et qui attirent inévitablement le regard. Ne serait-ce pas là une forme de land artà l’ère d’Internet ? A moins que l’on considère la relation du politique à l’art !
Rédigé par Dominique Moulon pour Art Press