64e Salon de Montrouge

Artistiquement dirigé par Ami Barak et Marie Gautier, le 64e Salon de Montrouge permettant de découvrir les travaux de jeunes artistes contemporains s’articule autour de quatre sections respectivement intitulées : “Ce que nous sommes ensemble et ce que ne sont pas les autres”, “Le laboratoire des contre-pouvoirs”, “La forme contenue ou le contenu implique” et “La réalité rattrapée par le réel”.

Han Ren, 4.000.000.000, 2019.

L’artiste chinois Han Ren, diplômé de l’école d’art de la Villa Arson, a commencé par repeindre en noire les cimaises lui étant destinées avant de s’attaquer à leurs surfaces avec des outils ordinairement dédiés à la construction. De près, on y devine une gestualité ample qui pourrait être celle d’une chorégraphie. A distance, ce sont des cratères qui s’offrent à nous alors que le titre, 4.000.000.000, pourrait évoquer la formation géologique de la lune. Car sa surface a aussi été dessinée par des collisions successives. Les surfaces des parois du Beffroi et celles du sol lunaire ont en commun d’avoir été “dessinées” par le frottement ou la collision d’outils ou de météorites. Ni l’une ni l’autre ne sont véritablement lisses, que ce soit du fait de l’action d’un artiste, Han Ren à Montrouge, ou selon l’observation du scientifique toscan Galileo Galilei qui au XVIIesiècle nous révéla que les tâches brunâtres de la lune n’était autre que des cratères.

Arthur Hoffner, Monologues 01, Monologue 02 & Conversations, 2018.

En ce 64e Salon de Montrouge, cinq prix ont été décernés dont celui de l’ADAGP revenant à Arthur Hoffner pour ses trois sculptures Monologues 01, Monologue 02 etConversations. La fontaine est une construction que les sculpteurs, du Bernin à Olafur Eliasson, n’ont cessé d’en faire évoluer les formes ou matériaux. Celles d’Arthur Hoffner, diplômé de l’ENSI – Les Ateliers, sont faites de matériaux de construction. Les finitions sont parfaitement exécutées, ce qui ne gâche en rien l’expérience esthétique. Mais surtout, elles nous apparaissent telles autant d’énigmes. Car leur relatif minimalisme nous interdit d’en comprendre les mécanismes. Aussi l’on s’en remet à la magie induisant la contemplation que le bruit de l’eau facilite. Jusqu’à ce que l’on perçoive le possible cynisme d’un jeune artiste ayant déjà tout compris aux fonctionnements du monde de l’art en s’imaginant ses trois sculptures aux cuivres scintillants dans l’intérieur cossu de la villa d’un couple de collectionneurs californiens.

Ioanna Neophytou, Les spectatrices invisibles, 2016.

La lauréate de la première édition Tribew, Ioanna Neophytou, est diplômée de l’Université Paris 8 et vit à Athènes où elle travaille. Son installation vidéo est d’une sensibilité absolue, de cette forme de sensibilité ordinairement réservée à celles et ceux qui savent écouter les autres sans se soucier de leur statut. Son installation à l’allure d’une étude sociologique sur celles qui sont au travail quand nous sommes “en déplacement”. Il en est même pour les ignorer : les femmes de ménage. Ce qui serait une erreur car elles savent tout de nous. Nous devrions, à ce propos, privilégier ici une écriture inclusive, mais force est de constater qu’il est encore des métiers, de par le monde, où celle-ci n’est guère de rigueur. Qui, dans sa chambre d’hôtel, entre Venise et Bâle, pense à ces “spectatrices invisibles” car c’est là le titre de l’œuvre. Quand elles sont susceptibles d’interpréter les moindres de nos faits et gestes, qu’ils soient teintés de respect ou non. Elles ont un avis résolument motivé sur qui nous sommes ou ne sommes pas.

Mathilde Supe, You can’t run from love, 2019.

Enfin, terminons par l’installation vidéo qui, littéralement, nous accueille à l’entrée de l’espace d’exposition. Conçue et réalisée par Mathilde Supe qui connaissait déjà l’ambiance des plateaux de cinéma avant même d’étudier l’art à l’école de Cergy-Pontoise pour enfin intégrer l’EHESS, elle s’intitule You can’t run from love. Il s’agit donc, on le devine, d’une rencontre amoureuse que l’artiste déconstruit au travers des commentaires d’un second écran. A l’image, les codes d’un cinéma de divertissement auquel toutes et tous nous succombons, quoi qu’on en dise, sont très strictement respectés car ils sont jeunes, beaux et finissent par s’embrasser. Alors que l’analyse, par le texte, nous invite à un visionnage davantage distancié. Une tension s’installe alors dans l’espace et le temps qui sépare une image que l’on croit connaître de la part théorique que l’artiste en fait émerger. Une tension qui serait esthétique plus que dramatique.

Rédigé par Dominique Moulon pour TK-21