Neurones

L’exposition Neurones, Les intelligences simulées s’inscrit dans la continuité du programme de recherche Mutations / Créations initié en 2017. Avec cette quatrième manifestation, les commissaires Frédéric Migayrou et Camille Lenglois replacent l’intelligence machinique dans un contexte historique et abordent ses évolutions jusqu’à nos jours.

Hicham Berrada, Présage, tranche, 2007 – en cours.

Dans la Galerie 4 du Centre Pompidou, murs, cimaises et tables regorgent de documentations historiques ponctuées d’œuvres contemporaines. Cinq zones y sont dédiées à l’étude du cerveau, aux relations de l’intelligence au jeu comme à celles de l’informatique au vivant ainsi qu’aux états de conscience modifiée et aux réseaux de neurones artificiels. Le cerveau y est donc représenté sous toutes ses formes ou fonctions et c’est l’aspect biochimique du système nerveux qu’Hicham Berrada évoque avec trois pièces de sa série Présage. Des aquariums au sein desquels il a patiemment déposé des matériaux ou produits qui, réagissant les uns aux autres, composent progressivement des paysages fantastiques. L’artiste en reprend le contrôle lorsqu’il cesse son expérimentation afin d’en suspendre la morphogénèse de dioramas pour les livrer au public dans des contexte qui en orienteront les lectures.

Pascal Haudressy, Suspended, 2014.

La relation qui s’établit entre ce qui exprime le vivant et ce que l’on sait inerte se poursuit dans le travail de Pascal Haudressy. Avec Suspended, une branche d’arbre relie les animations tout particulièrement instables qui la prolongent en ses deux extrémités. Elle est essentielle à l’arborescence qu’ombres et lumières déterminent en figurant la variabilité des signaux électriques transmis par les neurones. C’est une activité silencieuse dont nous avons appris avec le temps à considérer la part de mystère.

Refik Anadol, Engram : Data Sculpture, 2018.

Pour Engram : Data Sculpture de Refik Anadol, ce sont les fonctions cérébrales de centaines de “cobayes” humains se prêtant à l’expérience qui sont à l’œuvre. Car ils ont accepté de se mémoriser quelques souvenirs pendant que des chercheurs collectaient leurs ondes cérébrales. Avant que l’artiste ne les intègre dans un processus de création d’images en mouvement caractérisant l’idée même de flux. Des flux qui, sans aucun doute, produisent chez les spectatrices et spectateurs des ondes cérébrales d’une nature similaire. La matière de pixels nous apparaît ainsi perturbée en des méandres dont on voudrait deviner les fragments de pensées.

Julien Prévieux, Menace 2, 2018.

Si l’est un domaine où l’on a coutume d’opposer l’intelligence humaine à celle, artificielle, des machines, c’est bien celui du jeu avec ou sans ordinateur. C’est en 1961 que le chercheur Donald Michie, ne pouvant accéder aux calculateurs de ses collègues informaticiens, a conçu un meuble à jouer que l’artiste Julien Prévieux a reconstitué. Ce mobilier aux innombrables tiroirs “apparents” à jouer au Morpion au fil des actions de celle ou celui qui le manipule. Il s’agit là d’une forme d’apprentissage par renforcement qui équipe nos smartphones dont nous améliorons les performances en les utilisant. Cette idée que les machines puissent apprendre par elles-mêmes est aujourd’hui admise. Elles le font même très bien considérant la reconnaissance, donc la création, de formes. Et tout, dans ce cas dépend de la nature et du nombre d’images qui lui sont soumises.

Anna Ridler, Mosaic Virus, 2019.

Anna Ridler a dû présenter des milliers de tulipes à un algorithme avant qu’un autre soit capable d’en générer de nouvelles. Puis, les modèles de fleurs se succédant sur les trois écrans du projet Mosaic Virus ont été connectés aux fluctuations du bitcoin. Cette monnaie alternative qui, en seulement quelques années, a suscité dans l’économie mondiale un engouement comparable à celui qui incitât autrefois tant de peintres hollandais à représenter des tulipes dont le cours fluctue aujourd’hui tout autant sur les marchés.

Lu Yang, Delusional Mandala, 2016.

Et s’il y avait une œuvre qui puisse clore cette exposition aux multiples entrées, ce pourrait être la séquence vidéo projetée Delusional Mandala de Lu Yang tant elle embrasse d’idées et de thèmes présentés dans cette manifestation. L’artiste, au tout début, s’y représente elle-même lors d’une séance de scanning convoquant l’autoportrait, mais à l’ère digitale. Le public peut ainsi suivre les étapes du processus faisant de l’artiste le personnage, sans genre, principal de son film. La neurochirurgie y est envisagée telle une discipline dont les innovations, au rythme effréné des images se succédant qu’une musique ne cesse d’accélérer, semblent devancer les questionnements éthiques qui devraient pourtant l’accompagner. Et c’est peut-être là le principal propos de cette exposition : nous donner le temps d’observer, au travers de l’art et plus généralement des sciences humaines, les transformations profondes qu’opèrent les sciences et techniques ou technologies.

Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress