Whiteface

Présenté à La Centrale à Bruxelles, Extra est une exposition où un artiste, Mehdi-Georges Lahlou, en invite une autre, Candice Breitz. Cette dernière y présente notamment l’installation vidéo deux canaux Whiteface où elle interprète les turpitudes existentielles inhérentes à la blanchité.

Candice Breitz, Whiteface, 2022. Installation vidéo deux canaux, couleur, 35’23”, boucle. Production Museum Folkwang, avec le support de Kunsthalle Baden-Baden. Vue d’exposition, Mehdi-Georges Lahlou & Candice Breitz – Extra, La Centrale, Bruxelles. Photographie Philippe De Gobert.

Candice Breitz (1972) est originaire de Johannesburg du temps de l’Apartheid et vit depuis 2002 à Berlin. Elle questionne les cultures populaires en pratiquant essentiellement la vidéo – qu’elle augmente parfois de photographies – au sein d’installations multipliant les flux d’images. Rompue à l’appropriation artistique de séquences hollywoodiennes comme à la mise en scène de gens ordinaires, elle sait tout autant interpréter des rôles, comme elle le fait pour l’installation Whiteface de 2022. Car c’est bien elle qui s’exprime avec les mots d’autrui, seule et face caméra quand elle n’est pas entourée de copies d’elle-même diversement grimées. Son allure évolue, mais la chemise d’un blanc immaculé perdure pendant les 35 minutes de la vidéo projetée en boucle. Régulièrement filmée en plan américain, comme c’est l’usage sur TikTok, elle s’adonne à la synchronisation labiale. Une autre tendance sur cette plateforme que les amateurs de la mise en scène de soi privilégient actuellement. Et ce, quel que soit le sujet abordé, divertissement, politique ou, inévitablement, désinformation.

Cette performance a de quoi surprendre. Tout d’abord il y a l’extrême unité d’une esthétique s’articulant autour de diverses coiffures, toutes blondes, et cette même chemise aux manches relevées fusionnant avec l’absence ou la pureté symbolisée par un fond blanc. Quant à l’actrice incarnée par ses multiples avatars, elle interprète une multitude d’échantillons sonores qu’elle surjoue avec un plaisir non dissimulé. Toutefois, sa présence à l’image semble ne pas correspondre tout à fait aux timbres des voix qui se succèdent. Or il convient de se retourner pour en comprendre la source télévisuelle, ou plus largement médiatique. L’installation vidéo est ainsi constituée de deux couches se faisant face. D’un côté il y a le video sampling de commentatrices et commentateurs de la blanchité qui renvoie à la pratique d’artistes ou vidéastes de la même génération, comme Omer Fast. De l’autre, Candice Breitz habille, si ce n’est texture, cette même séquence en performant de sa personne. Ce qui n’adoucit guère les propos originels allant de l’expression d’un racisme ordinaire à la théorie du grand remplacement.

L’installation vidéo Whiteface soulève de nombreuses questions ou problématiques que l’artiste a choisies de traiter avec une relative distance en les interprétant. Quand le sujet, en réalité, n’est autre que la peur d’une communauté de perdre les privilèges qui lui ont si naturellement été transmis. La question de l’information, ou plus exactement de la désinformation, est essentielle. Qu’il s’agisse de se contenter d’un seul canal télévisuel à la partialité affirmée comme Fox News aux Etats-Unis. Ou, d’une manière plus insidieuse, de se laisser enfermer dans sa bulle filtrante que les algorithmes façonnent au rythme de nos clics et commentaires sur les médias sociaux. Fort heureusement, l’installation dont il est question n’est accessible que dans le champ de l’art. On imagine aisément l’impossible modération des échanges exacerbés qu’elle pourrait produire en ligne. Où la déraison, inévitablement, l’emporterait sur le dialogue. Une telle création, dans le contexte “privilégié” – avouons-le – d’un centre d’art contemporain, ne peut que faire réfléchir aux racistes qui, ne nous le cachons pas, sommeillent en chacun d’entre nous, toutes et tous.

Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress.