Phylogenèse inverse

L’exposition Chronicles from a near Future conçue par la commissaire Ana Ascencio à iMAL Bruxelles regroupe deux installations d’envergure. L’une, intitulée Phylogenèse inverse, des artistes Golnaz Behrouznia et Dominique Peysson, propose de reconsidérer le vivant selon des imaginaires se situant à la croisée des arts et des sciences.

Golnaz Behrouznia & Dominique Peysson, Phylogenèse inverse, 2022.
Création scénographique de Rémi Boulnois. Design sonore de Florent Colautti.

L’installation Phylogenèse inverse a été créée en mars 2022 à l’occasion du Festival Canal Connect de Madrid. Et c’est dans une configuration similaire qu’on la retrouve au centre d’art iMAL de Bruxelles dédié aux pratiques et cultures numériques. Elle rassemble plusieurs pièces des artistes Golnaz Behrouznia et Dominique Peysson – qui est aussi scientifique –, autour d’un même concept imaginé par elles-mêmes : la phylogenèse inverse. Rappelons ici que la phylogénie est une discipline visant à étudier les liens entre les organismes vivants et ceux qui ont disparu. Alors que les deux artistes, littéralement, la renversent pour envisager des êtres vivants étant à même de revenir à des stades antérieurs au fil de leurs évolutions, de générations en générations. Sans s’interdire d’hybrider de telles chimères aux techniques ou technologies contemporaines pour nous mener selon un parcours “inverse” d’exposition jusqu’à l’origine de la vie dont nous ne savons si peu.

La forme de l’œuvre sculptée par la lumière et associant des objets en vitrines aux cartels les décrivant avec minutie est résolument muséale. Alors que l’imaginaire est essentiellement scientifique. Force est de reconnaître que la nature est inspirante. Pour exemple, il y a cette méduse nommée Turritopsis nutricula, originaire des Caraïbes, dont des chercheuses et chercheurs ont découvert qu’elle pouvait inverser le processus de son vieillissement ! Quant à la relative diversité des organismes présentés à iMAL, elle évoque l’extrême variété des espèces dont témoignent les schistes de Burgess au Canada datant de plus de cinq cents milliers d’années. C’est-à-dire quand la vie s’essayait sous des formes extravagantes qui ne sont jamais parvenues jusqu’à nous.

La visite de cette œuvre en exposition invite à en accepter les projets d’êtres vivants sans se soucier de leur viabilité ni distinguer l’inerte du vivant pour, simplement, en apprécier la poésie. C’est un bien autre regard sur l’évolution qui est proposé, invitant à reconsidérer l’idée même de progrès, un concept qui n’a jamais été autant questionné qu’en cette époque d’une post-modernité sans fin. L’idée étant, au terme du parcours à étapes que l’on est invité à suivre scrupuleusement, de s’approcher de cet instant lointain où la vie est subrepticement apparue à la surface de notre planète. Et aux artistes d’évoquer la comète du système solaire 67P/TG que les astronomes Klim Ivanovitch Tchourioumov et Svetlana Ivanovna Guérassimenko ont découvert en 1969. Bien avant que la sonde Rosetta ne renseigne d’autres scientifiques quant à la possible présence de vie sur d’autres planètes !Phylogenèse inverse est donc une installation qui s’observe comme le font ordinairement les scientifiques autant qu’elle se lit telle une fiction. Elle compte parmi ces œuvres dont l’imaginaire conduit à la connaissance. Rien n’est vrai quand tout nous apparaît vraisemblable, ou presque, et que la poésie des formes sans retenue aucune s’appuie sur des faits scientifiques établis. Les musées d’art et de science ayant en commun, à leur sortie, de nous rendre au monde avec plus de questions que nous n’en avions quand nous en avons franchi les portes.

Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress.