Anna Ridler

S’il est des sujets qui traversent l’histoire de l’art, la fleur en fait partie. De la peinture flamande à l’impressionnisme, d’Andy Warhol à Anna Ridler présentée actuellement à l’Avant Galerie Vossen dans une exposition de groupe associant notamment la tulipe au bitcoin.

Anna Ridler, Myriad (Tulips), 2018.

La fermeture des musées et centres d’art a propulsé le public dans les galeries qui n’ont jamais connu autant de visites. Dans un même temps, la crise sanitaire a aussi profité aux plateformes de vente en ligne dont celles dédiées au crypto art. Une nouvelle tendance de l’art qui caractérise les échanges entre artistes et collectionneurs plus que les œuvres elles-mêmes, essentiellement des images fixes, en mouvement ou virtuelles. Sécurisées grâce aux technologies de stockage de la blockchain, les transactions se font en cryptomonnaies, dont le bitcoin. Notons que de telles cryptodevises battent actuellement des records. Sur YouTube, les séquences montrant ces collectionneurs d’un nouveau genre présentant leurs acquisitions se multiplient. Généralement, les valeurs d’achat et de vente priment sur les critères esthétiques. Ce qui n’est pas véritablement nouveau, considérant la quantité d’œuvres qui sommeillent dans des coffres. Aussi, force est de reconnaître que le crypto art a aujourd’hui le mérite de ne pas priver le public des créations, celles-ci demeurant accessibles en ligne.

Avec son exposition De la tulipe à la crypto marguerite, l’Avant Galerie Vossen traite des relations entre la sphère de l’art et celle de la finance. Plusieurs créations, dont Mosaic Virus, d’Anna Ridler illustrent parfaitement de telles connivences. Le simple fait que l’artiste anglaise se soit focalisé sur la tulipe suffit à convoquer la peinture flamande du XVIIe siècle. Cette fleur évoque aussi l’histoire des bourses de valeur en référence à la tulipomanie de la même époque. Ainsi le titre de l’installation Mosaic Virus désigne le potyvirus qui marbre les pétales affectés. Au XVIIe siècle, cette singularité augmentait la valeur des tulipes dont le cours variait en conséquence, causant la richesse ou la ruine de nombreux spéculateurs. De la tulipe au bitcoin, les fortunes se font donc aussi vite qu’elles se défont. C’est la raison pour laquelle Anna Ridler a littéralement connecté ses fleurs aux fluctuations de la cryptomonnaie. Car il s’agit en réalité de représentations de fleurs qui n’ont pas de véritable existence, mais qu’une intelligence artificielle – ou plus exactement des réseaux adverses génératifs – ont préalablement calculé.

Anna Ridler, Mosaic Virus, 2018.

Anna Ridler a commencé par photographier 10 000 tulipes en annotant tous ses clichés. Ainsi est née l’installation photographique Myriad (Tulips) qui lui a fourni le jeu de données avec lequel elle a alimenté les algorithmes de l’installation vidéo Mosaic Virus. En collectant ainsi des myriades de fleurs pour qu’une machine en calcule davantage encore, l’artiste procède d’une forme d’intelligence que l’on devrait qualifier de collaborative plutôt qu’artificielle. Le fait que ces tulipes virtuelles issues d’une collaboration avec les algorithmes soient représentées sur fond noir renvoie inévitablement à la peinture flamande du XVIIe siècle où les tulipes aux pétales marbrées étaient très largement représentées dans des compositions florales magnifiant l’éphémère. Dans Mosaic Virus, les stries des pétales illustrent les fluctuations du bitcoin que personne ne saurait prédire, ni humain ni machine.

Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress.