Den of Wolves

L’installation vidéo Den of Wolves, point d’orgue de l’exposition Power Trip de Jonathan Monaghan présentée la galerie parisienne 22,48m2, symbolise parfaitement cette tendance numérique qui se déploie actuellement dans la sphère de l’art.

Jonathan Monaghan, Den of Wolves, 2020, courtesy 22,48m2.

L’architecture, dans l’esthétique de Jonathan Monaghan, tient un rôle essentiel tant elle structure la narration en niveau comme c’est le cas dans les jeux vidéo. Conçue pour être visionnée en environnement, sa séquence Den of Wolves exposée actuellement chez 22,48m2 est une boucle parfaite au sein de laquelle on entre donc sans se soucier de quelque temporalité que soit. Toute en transition et dans une relative lenteur, elle rassemble des fragments de lieux comme on le fait en rêvant des utopies que nos expériences du réel tentent en vain d’organiser. Le Capitole des États-Unis y occupe une belle place, pourtant il est intéressant de remarquer que l’artiste américain en a initié la représentation avant l’assaut de Washington. Le monument, à lui seul, incarne si parfaitement l’expression du pouvoir politique, mais il est aussi associé aux grandes enseignes que l’on devine ici et là, de la firme Apple au Whole Foods Market. Des marques qui, quant à elles, symbolisent les formes d’un capitalisme sans aspérité aucune. La catastrophe, pourtant, est là en filigrane pour émerger enfin au sein d’un hypermarché aux rayons totalement vides, ou quand le rêve devient cauchemar. Ne serait-ce pas là, dans une société de l’abondance, l’expression même de ce que Paul Virilio qualifiât autrefois “d’accident totale” ? L’histoire nous ayant enseigné que bien des révoltes ont été fomentées sur des pénuries alimentaires.

Jonathan Monaghan, Den of Wolves, 2020, courtesy 22,48m2.

Dans sa parfaite symétrie et avec son dôme central, la vue du capitole nous renvoie tout naturellement aux représentations des cités idéales de la Renaissance italienne. Quand le petit monde de Jonathan Monaghan est tout aussi désert, une désertion que les vélos électriques sans loueuses ni loueurs soulignent. Nous sommes possiblement dans l’après immédiat d’une catastrophe où seuls trois loups errent à la recherche d’indices exprimant le pouvoir absolu de celles et ceux qui règnent sans partage sur leurs royaumes ou empires. C’est ainsi que les canidés respectivement se saisissent d’une cape rouge, d’un sceptre et d’un globe d’or. Il n’y a donc personne en ce lieu à la l’extrême blancheur que tissus matelassés et dorures étincelantes magnifient. Personne, si ce n’est les trois quadrupèdes aux missions bien établies et une sorte de monstre dont les yeux ne sont autre que des caméras de vidéosurveillance que l’on associe alors aux portiques de sécurité qui ponctuent le long cheminement des caméras virtuelles. Quand l’extrême quiétude qui émerge de la blancheur acidulée de Den of Wolves est si palpable qu’elle en devient suspecte, presque menaçante. Et que nous sommes, quand toute résistance nous apparaît futile et que nos paupières s’alourdissent, sous l’attirance conjuguée des apparats du pouvoir absolu et des marques au design bien soigné. Quel serait alors le réel qu’un tel rêve éveillé ne masquerait que partiellement ?

Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress.