Les technologies, dans bien des institutions artistiques internationales, entrent bien souvent par des portes dérobées qui sont celles de l’architecture ou du design. Concernant Ryoji Ikeda, c’est par le spectacle vivant qu’il a d’abord été programmé dans des centres d’art avant que ces mêmes institutions ne lui offrent leurs salles d’exposition. Et ce possible passage du spectacle vivant à l’art contemporain, l’artiste japonais l’illustre parfaitement avec ses deux installations du Centre Pompidou. L’une en black box, lieu de prédilection des arts numériques, et l’autre en white cube, dispositif de monstration privilégié par l’art contemporain. Code-Verse est une installation audiovisuelle qui, par son gigantisme, s’adresse au corps dans son entier. Bien que les spectatrices et spectateurs, de manière générale s’allongent pour s’abandonner aux flux ininterrompus des data que l’œuvre met en perspective. Les points de vue se succèdent alors que les flux persistent, dans l’image comme dans le son. Au point que les corps, imperceptiblement, s’allègent. Jusqu’à ce qu’ils soient en mouvement, particules parmi les particules, soumis aux forces gravitationnelles qui, elles aussi, se succèdent à des rythmes effrénés.
La blancheur extrême de A [continuum] convoque inévitablement l’univers de la séquence de fin du film 2001, l’odyssée de l’espacede Stanley Kubrick. Les années soixante, comme période de référence où les relations entre arts et technologies s’établissent durablement, se réinvitent. Le continuum dont il est question, c’est celui du temps étiré par les sons d’un lieu où nous sommes quelque peu désemparés dès notre entrée. Les machines, qui se détachent d’un blanc éblouissant et éprouvent notre sens de l’ouïe, nous apparaissent sans époque. Et c’est là l’une des particularités des installations de Ryoji Ikeda qui nous évoque un futur s’éloignant comme le fait inexorablement l’horizon. La radicalité d’un langage esthétique, bien qu’ancré dans les avant-gardes, ne nous permettant guère de la dater. Quand les publics privilégient l’expérience d’œuvres qui constituent un corpus déplaçant les lignes tant entre la scène et l’exposition comme entre l’art et les nombres, data ou fréquences.
Rédigé par Dominique Moulon pour Art Press