Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress
Épisode 2
L’exposition Jusqu’ici tout va bien ? – dont le point d’interrogation entretien à lui seul le suspens – vient de s’augmenter de quelques installations présentées dans les anciennes écuries du Centquatre Paris.
L’extension de l’exposition Jusqu’ici tout va bien ? des commissaires Gilles Alvarez, fondateur de la Biennale Némo, et José-Manuel Gonnçalves, directeur du Centquatre, s’inscrit dans la continuité des Archéologies d’un monde numérique (le sous-titre de cette exposition) initiées en octobre dernier avec une première série d’œuvres évoquant un possible futur post-humain. S’il est un site entre science et fiction sur cette planète, c’est bien celui de la réserve mondiale de semences du Svalbard tout proche du pôle Nord. En 2012, les artistes Magali Daniaux & Cédric Pigot avaient tenté, en vain, d’y accéder car la porte était restée désespérément close. Aussi, ont-ils protesté silencieusement sous la forme d’une performance intitulée Devenir Graine, sans renoncer pour autant à pénétrer dans cette chambre forte souterraine où sont sécurisées pour des siècles et des siècles les graines utiles à l’alimentation mondiale. Pour les accompagner, spectatrices et spectateurs payent le prix fort puisqu’ils doivent accepter la sensation de perte momentanée de leur corps en expérimentant le lieu en réalité virtuelle. Se faisant, ils sont à la fois très près et très loin du Global Seed Vault qui les projette dans l’au-delà d’un possible effondrement. Ils devraient alors être au plus près des semences qui, patiemment amassées, convoquent l’urgence. Mais le congélateur du monde apparaît totalement vide ! Comme après un banquet quand les convives, repus, se sont retirés.
Et si nos villes, une fois désertées, se vidaient aussi de l’intérieur pour n’être plus constituées que, selon Lucrèce, de « sortes de membranes légères détachées de la surface des corps » ? C’est le postulat de départ d’Hugo Arcier lorsqu’il réalise l’installation vidéo Ghost City. Les mots du poète et philosophe latin du 1er siècle av. J.-C. font sens lorsque l’on connaît l’aspect strictement surfacique des projets en trois dimensions d’architecture. L’artiste renforce ce caractère immatériel qui renvoie à l’industrie du jeu vidéo via un traveling avant sans fin qui, à la fois révèle et avale la cité. C’est comme si l’acte de voir anéantissait le sujet. Aussi l’on pense aux archéologues de l’instant qui, de leur simple présence ajoutée, dévastent ce qu’un temps de l’absence avait préservé.
L’idée que le monde ait perdu tout ou partie de sa matérialité initiale se retrouve dans le travail tout aussi tridimensionnel de Simon Christoph Krenn. Dans Parasitic Endeavours, ce sont les corps, et plus particulièrement des têtes qui semblent affectées par ce qui pourrait être une forme d’épidémie en ce sens qu’elles semblent avoir gagné en plasticité ce qu’elles ont perdu en solidité. Cette transformation n’étant apparemment pas sans souffrance au regard des douleurs que trahissent les grimaces semblables à celles que le sculpteur Franz Xaver Messerschmidt infligeait déjà aux matériaux de ses bustes grimaçants au XVIIIe siècle. Les quelques grimaces de ces têtes coupées nous disent les sursauts d’une forme d’humanité résistante.
L’idée initiale de cette exposition, c’est celle d’un musée qui aurait été abandonné par les humains ayant omit d’éteindre les machines. Il y a des robots que des artistes, à l’instar d’Addie Wagenknecht, détournent de leurs activités industrielles au travers de situations documentées par la vidéo. C’est ainsi qu’un robot berce un couffin dont on ne sait pas exactement ce qu’il contient. La scène est intéressante car il n’y a guère de geste plus répétitif que celui qui consiste à bercer un enfant. Pour autant, c’est sans doute l’acte que bien des parents ne seraient pas prêts à déléguer à une machine quand bien même cela leur permettrait de s’épanouir autrement en des tâches moins répétitives. Tout est dans la confiance portée aux machines que nous imaginons faillibles puisque nous les avons conçues à notre image.
De son côté, Filipe Vilas-Boas nous rappelle la plus essentielle des lois de la robotique d’Isac Azimov en punissant un robot tout aussi industriel. Car ce dernier est contraint à recopier la phrase « I must not hurt humans ». L’emploi de la première personne du singulier indique que l’on a accepté de concéder une conscience à l’intelligence artificielle qui anime le bras robotique. Une concession qui ne peut qu’inciter à la méfiance si l’on se réfère aux pires des décisions humaines qui peuvent être prises en conscience.