Article rédigé par Dominique Moulon pour la Collection du Frac Alsace.
Matières sensibles
Les artistes Anaïs met den Ancxt et Grégory Lasserre forment ensemble le duo Scenocosme. Ce qu’ils nous disent, en se nommant ainsi, c’est leur attachement à la scène ou plus précisément à la scénographie des lieux qu’ils investissent avec leurs instruments. Car ce sont aussi des luthiers, mais à l’ère de l’usage généralisé des technologies du numérique. Et l’on sait l’appétence immodérée des plasticiens sonores qui, autrefois, se sont immédiatement saisi de l’électricité puis de l’électronique. Il convient, dans le cas de Scenocosme, d’apprendre à jouer des sculptures qu’ils nous proposent tout en transformant les lieux de leurs expositions en autant de cages de résonance. Et c’est alors que s’improvisent des chorégraphies de la main comme du corps dans son entier. On apprend par le faire et sans méthode aucune, pour s’apercevoir que l’on savait déjà. Tout comme celles et ceux qui, du jour au lendemain, s’expriment avec un langage que pourtant jamais on ne leur avait appris. C’est par conséquent d’une forme de magie dont il s’agit. D’une magie consistant à insuffler des suppléments d’âmes aux objets qu’Anaïs met den Ancxt et Grégory Lasserre sculptent ou s’approprient. Des objets que les spectatrices ou spectateurs, tel autant d’interprètes, touchent, effleurent ou caressent afin d’en extirper les sons dont on veut continuer d’ignorer où ils se dissimulaient. C’est-à-dire quelque part dans l’invisible, la composante essentielle du travail de Scenocosme. Quand leurs matériaux de prédilection, entre autre cuirs, bois ou plantes, n’ont rien d’électronique et s’inscrivent par conséquent en opposition avec les musiques qu’ils déclenchent ou diffusent. Les sons d’ailleurs qui composent ces mêmes musiques renforcent le caractère fictionnel des situations ainsi créées. Et ce, que l’on soit du côté de l’instrumentiste comme de celui du public. Car il est bien des moyens d’aborder le travail de ces deux artistes qui, on l’imagine aisément, s’étonnent eux-mêmes des façons dont on se saisit de leurs œuvres en les parachevant de nos usages comme de commentaires.
Matières sensibles compte parmi ces installations que le public complète de sa relation physique à l’œuvre. Tant du point de vue de sa matérialité que de celui des immatérielles extensions, dans l’invisible, des lieux investis. A la diversité des veines du bois habilement choisi par les artistes, comme savent le faire les sculpteurs, correspond une palette de sons aux infinies variations selon les caresses. Car Matières sensibles incite littéralement aux caresses de toutes sortes. Elle est en attente et semble nous appeler, nous interpeler même. Elle désire intiment qu’on l’effleure ou qu’on la touche. Des relations qui s’établissent, il émerge quelque chose qui est de l’ordre de l’intime, ou plus exactement du sensuel. L’expérience est unique, donc éphémère. Aussi, on la prolonge en des
gestualités lissées qui ont pour effet d’étirer les sons d’une musique
d’improvisation que les deux artistes ont pourtant tenté d’anticiper. Ce qui se joue, dans l’espace du lieu, n’est autre que la répétition en d’infinies variations des jeux qu’Anaïs met den Ancxt et Grégory Lasserre on imaginé dans leur atelier. Les partitions, en revanche, sont en chacune ou chacun d’entre nous, dès lors que nous nous présentons à l’œuvre. Intuitivement, nous les savons sans pour autant les connaître et dans l’attente impatiente de les découvrir.