C’est en 2014 que Gwangju est devenue la première ville créative de l’UNESCO en Corée du Sud. Et c’est avec l’Organisation des Nations Unies que la Gwangju Media Art Platform organisait le 27 novembre dernier une journée d’étude consacrée à l’intelligence artificielle dans les champs de la création. L’occasion pour les intervenantes et intervenants de découvrir le dynamisme de l’Asia Culture Center au travers de ses expositions dont l’une est dédiée à Ryoji Ikeda et l’autre à ses artistes en résidence réunis sous l’intitulé “Artificial You”.

C’est avec l’installation test pattern (2008) de Ryoji Ikeda qui a parcouru le monde que l’Asia Culture Center (ACC) a été inauguré à Gwangju en 2015. Et c’est pour célébrer son dixième anniversaire que l’institution présente une exposition monographique de cet artiste et compositeur japonais. L’entrée se fait en empruntant le couloir de la pièce dada.flux [n°2] produite pour l’occasion. Le flux incessant des caractères de lumière blanche qui défilent par paquet, littéralement, nous aspire. Il s’agit de data, sa véritable signature, qui sont ici de nature génétique. Leur nombre dit la complexité de l’ADN qui nous singularise tant comme individu que comme espèce, d’autant plus qu’il contient des fragments d’informations relatives à nos ancêtres les plus lointains. Nos vies durant nous avons à gérer nos coefficients de différences et de similarités pour faire société : comme souvent chez Ryoji Ikeda, l’approche formelle est minimale et le discours universel.

S’en suivent deux installations où le cercle est la règle : critical mass (2025) et point of no return (2018). La première est monumentale et nous attire inexorablement vers son centre que des informations au sol pourtant nous interdisent d’atteindre. Toute notre attention est focalisée sur ce point d’où émergent des disques de lumière et d’ombre qui viendront s’éteindre à nos pieds. La masse critique, en physique, c’est la masse minimale de matière fissile, celle susceptible de déclencher une réaction de fission nucléaire en chaîne, en cette heure de la réémergence de possibles cataclysmes.

La seconde installation est similaire dans sa relation au circulaire mais différente par sa verticalité. Et son titre évoque ce point de non-retour que les plus pessimistes d’entre nous entrevoient, mais que globalement nous refusons d’envisager. Il en est ainsi des œuvres minimales : les contextes géopolitiques de leur monstration influent sur nos perceptions. Ajoutons à cela que les sons étirés de tels dispositifs évoquent tant les événements d’un temps suspendu que leur relative instabilité.

Le cercle comptant parmi les obsessions de l’artiste visuel, il lui consacre une pièce de sa série sleeping beauty en se focalisant sur le nombre π qui désigne le rapport entre sa circonférence et son diamètre. Il s’agit d’une plaque en impression UV sur acrylique qui est disposée sur le socle qui la rétro-éclaire donnant au nombre infini le statut d’une œuvre d’art. Sa surface, à distance, semble n’afficher que du bruit et il convient de s’en approcher pour en décrypter quelques fragments. L’idée que l’inscription de Pi puisse s’étendre sur toutes les surfaces jusqu’à la fin des temps est saisissante. Sachant que son calcul est aussi précieux aux biologistes pour l’appréhension du vivant qu’aux astronomes pour celle de l’univers, soit des beautés propres à ces domaines scientifiques.

L’autre pièce marquante de l’exposition se compose des data verse 1, 2 et 3 (2019-2020) en projections de grande taille qui confèrent sa dimension immersive propice à la contemplation à l’espace de monstration baignant dans une relative obscurité. Les visualisations animées de données allant des activités de nos cellules de l’infiniment petit à l’immensité d’un univers dont on a peine à saisir les limites spatiales et temporelles sont ponctuées par la répétition de sons stridents qui participent grandement de l’esthétique du compositeur. On ne peut que s’abandonner aux formes audios et visuelles, et il est même difficile de s’en extraire tant elles sont hypnotisantes comme le sont les dimensions qui nous surpassent.

Associant art et culture ou recherche et pédagogie, l’Asia Culture Center de Gwangju est aussi impressionnant par la taille de ses bâtiments que par la diversité de ses activités. Pour exemple, un studio de production créative accueille l’exposition Artificial You des artistes d’un programme de résidence. On y découvre notamment l’installation en 3D temps réel Centurion (2025) de l’artiste émergent canadien Timothy Thomasson. Dans l’armée romaine, le centurion commandait une soixantaine d’hommes, ici il n’en commande plus aucun. Dans son appartement contemporain sans décor, il n’exprime que l’ennui d’un combattant dans l’attente d’engagements. La vacuité de son existence évoque celle des personnages non-jouables de jeux vidéo dans l’attente des actions d’avatars contrôlés. On pense alors aux mondes persistants désertés par leurs utilisatrices ou utilisateurs bien que restant accessibles sur quelques serveurs qui ne sont plus mis à jour. Ce qui pose la question de l’oubli tant des lieux virtuels que des avatars à l’ère de l’augmentation exponentielle des données ou mémoires des intelligences artificielles qui, de plus en plus, s’interconnectent. On est là au cœur des problématiques abordées par la Media Art Platform de Gwangju pendant les temps d’échanges qu’elle organise régulièrement pour anticiper des futurs souhaitables.
Remerciements au Service culturel de l’ambassade de France en Corée.
Article rédigé par Dominique Moulon pour ArtsHebdoMedias.com.