L’exposition monographique The Artwork as a Living System de Christa Sommerer & Laurent Mignonneau à l’OÖ Landes-Kultur de Linz en Autriche retrace trente années d’expérimentations artistiques. Parmi les plus anciennes, citons l’installation Interactive Plant Growing (1992) qui est devenue une pièce majeure de l’histoire des arts numériques. Effleurer les cinq plantes de l’espace physique revient à en activer les doubles virtuels vidéoprojetés. Nous nous sommes habitués à interagir sur notre environnement, pourtant, l’idée que ce soit au travers du vivant continue de nous émerveiller.
L’interaction est au centre des pratiques développées par les deux artistes mais ce sont les contextes qui font évoluer les problématiques abordées. Car avec HAZE Express (1999), c’est sur le paysage se déroulant inéluctablement que l’on agit via la vitre d’un wagon. Or les philosophes des sciences comme Etienne Klein ont pour habitude de comparer le temps à un train dont nous ne serions que les passagers. Dans ce cas, le choix par le duo du décor d’un train pour agir symboliquement sur le temps, comme nous le faisons aujourd’hui si intuitivement avec les chronologies de nos interfaces, s’avère être d’une justesse absolue.
Au fil du temps, donc de l’évolution des technologies utilisées par Christa Sommerer & Laurent Mignonneau, leur esthétique aussi a changé. Avec Eau de Jardin (2004), par exemple, les spectatrices et spectateurs qui agissent encore sur les excroissances de plantes dans l’image interagissent plus globalement sur le vaste monde qui leur fait face. Celui-ci s’est éclairci, c’est-à-dire qu’une fine brume matinale a remplacé le fond noir des écrans à tubes cathodiques au travers desquels ils ont tant observé le monde qui se mettait en place, bien avant que ne se développe l’imaginaire des Métavers.
Avec The Value of Art (2010), c’est sur le maché de l’art, ou plus exactement sur la valeur de l’art comme le titre nous l’indique, que les artistes se penchent avant que celle-ci ne devienne centrale à une autre tendance, celle des NFT pour Non Fungible Tokens. Les dispositifs techniques qui augmentent quelques peintures ainsi recyclées permettent de quantifier les temps que spectatrices et spectateurs passent à les observer. Cette économie de l’attention renvoyant à la pensée duchampienne qui veut que ce soit “le regardeur qui fasse l’œuvre », plutôt que la spéculation.
Enfin, avec People on the Fly (2016), c’est le public qui, entrant dans l’image de ce dispositif vidéo en circuit fermé, devient la composante essentielle de l’œuvre. Là, précisément, où nous sommes assaillis par des nuées de mouches virtuelles. Spectatrices et spectateurs initient alors quelques stratégies allant de l’attirance à l’évitement. Quand ce sont les insectes ou plutôt les algorithmes les faisant se mouvoir qui “en réalité” décident de leurs cibles. Ce dispositif résume à lui seul assez bien la démarche de Christa Sommerer & Laurent Mignonneau dont les créations sont à la croisée des actions des artistes eux-mêmes, des technologies de l’autonomie mises en place et des publics qui les activent.
Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress.