En cette époque d’amélioration singulière de la vision des machines, le duo d’artistes coréens Shinseungback Kimyonghun met la perception visuelle en perspective avec sa série Flowers.
S’il est un combat que les humains ont définitivement perdu contre les machines, c’est bien celui de la vitesse. Comme celle du défilement de produits manufacturés que nos regards ébahis ne peuvent plus suivre sur des tapis roulants. Il a donc fallu doter les machines d’une forme de vision leur permettant, par exemple, d’éradiquer toute non-conformité. On parle de vision industrielle quand Google l’interface avec toutes les images du monde via un service qui intrigue tant les artistes que les programmeurs. Nommé Cloud Vision, celui-ci est accessible à toutes et tous. Prenez n’importe quelle image, et l’interface vous dira ce qu’il “perçoit” avec un pourcentage de certitude : ici un cerf à 92%, là une pomme à 96%, même de la joie sur un visage. On pourrait passer des heures à ce jeu des devinettes… Shin Seung Back et Kim Yong Hun, eux, y ont passé des jours pour faire œuvre. Ils ont commencé par collecter des visuels de fleurs en ligne en vérifiant que l’application en reconnaissait les traits avec une relative certitude. Puis, ils ont tenté de créer de l’incertitude en déstructurant les images de façon à ce que des humains n’y voient plus que des abstractions évoquant possiblement le printemps, eu égard aux tons pastel dominants. De leur côté, les algorithmes de l’application persistaient à les qualifier de fleurs.
Visuellement, nous sommes face à des chorégraphies de formes et de couleurs marquant régulièrement des poses correspondant aux abstractions que la machine continue obstinément à admettre comme des fleurs. Que nous dit cette persistance non-rétinienne à l’heure où la vision des caméras de vidéosurveillances de nos espaces urbains s’autonomise ? Si ce n’est que les machines, après qu’on leur ait transmis tous nos savoirs, s’émancipent de nos modes de perception. Rien d’effrayant tant qu’il s’agit de représentations de fleurs. Si tant est qu’elles aient été fleurs considérant l’enseignement de René Magritte et de son « Ceci n’est pas… » . Mais qu’en sera-t-il quand nous ne pourrons plus nous jouer des caméras qui constamment nous observent ? Et que nos sourires forcés dans un monde dénué d’opacité ne parviendront plus à masquer la moindre mélancolie pourtant si chère aux poètes.
Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress.