Nos rêves ne sont autres que des situations où l’on réassemble lieux, êtres ou objets qui nous sont familiers avec une extrême créativité. Nous y retrouvons par conséquent régulièrement des proches, d’où l’expression usuelle « Je viens de te voir en rêve » qui est aussi le titre de l’œuvre de Marion Roche. Il s’agit d’une sculpture dont la forme résolument organique convoque la nature car elle est structurée tel un arbre ou une fleur. Pour celles et ceux ayant une curiosité scientifique, le tronc ou la tige qui est en métal renvoie aussi au neurone comme nous le représentent les neuroscientifiques. A ce propos, Marion Roche a collaboré avec des chercheuses et chercheurs en neurosciences qui ont enregistré son activité cérébrale afin que celle-ci donne forme à quelques rêveries extirpées de sommeils paradoxaux.
Nos songes sont propices à la métamorphose au point que se les remémorer les altère. Quand cette plasticité est au cœur de ce que, dans cette création, on identifie comme des feuilles ou pétales. Rien, dans la partie supérieure de Je viens de te voir en rêve, n’est figé comme c’est la règle lorsqu’il est question du vivant. Parce qu’il est hydrophile, l’un des matériaux innovants composant cette sculpture la rend sensible à l’hygrométrie et plus encore à l’humidité que les conservatrices et conservateurs de musées d’ordinaire redoutent au point de multiplier les capteurs dans leurs institutions. Bien au contraire, l’artiste attend des médiatrices et médiateurs des espaces de présentation de son œuvre matérialisant ses rêves qu’ils l’humidifient de temps à autre afin de garantir que, jamais, elle ne soit véritablement identique à elle-même. Issue d’un procédé que l’on qualifie d’impression en quatre dimensions, celle-ci est donc résolument générative et cela à de multiples égards, tant dans les processus de sa fabrication que dans les conditions de sa monstration.
A l’entrée, il y a donc les rêves dont Marion Roche a témoigné au travers de séances d’électroencéphalographie. Se refusant d’y lire de simples données, elle les envisage comme autant de textures lui permettant de générer les éléments translucides dont nous savons l’extrême variabilité. Considérant les micromouvements dans la durée de cette création sculpturale, c’est à l’art cinétique que l’on pense inévitablement. On peut aussi y voir une évocation de l’aspect éphémère des œuvres de Land Art. Quoi qu’il en soit, dans sa globalité, la forme de Je viens de te voir en rêve est conséquente à l’observation scientifique du vivant comme à la considération de processus cognitifs. Et c’est en cela que le travail de Marion Roche s’inscrit dans la continuité des recherches des artistes-ingénieurs d’antan. De Léonard de Vinci qui pratiquait la dissection pour améliorer sa connaissance du corps humain à Wolfgang von Kempelen tentant de simuler les mécanismes de la pensée avec son automate joueur d’échecs.
Une gravure de Sébastien Leclerc datant de 1698 en atteste : il y avait autrefois une Académie des Sciences et des Beaux-Arts dédiée au Roy. De nos jours, de plus en plus d’artistes, à l’instar de Marion Roche, apprécient la compagnie des scientifiques. Ensemble, ils partagent les formes de créativités qui leur sont propres, sans omettre ce sens de l’observation qui leur est commun. Et, enfin, cette capacité à contempler, si ce n’est à rêver, tout en nous incitant à en faire de même avec les résultats de leurs recherches communes. De tout cela il est donc question avec Je viens de te voir en rêve, d’art et de science, comme des formes d’observations menant aux rêveries qui augmentent la connaissance de soi en cet environnement d’objets techniques qui est nôtre.
Rédigé par Dominique Moulon pour le Prix MAIF pour la sculpture.