L’exposition Soleils martiens de Félicie d’Estienne d’Orves qui se tient au Lieu unique a été organisée par son directeur Eli Commins en collaboration avec le commissaire associé Sean Rose. Intégrant la programmation du Voyage à Nantes, elle rassemble des installations de lumières et d’ombres donnant forme à la distance.
Félicie d’Estienne d’Orves est une artiste de la lumière que le lointain inspire. Aimant la compagnie des scientifiques, et plus particulièrement celle des astrophysiciens, elle magnifie leurs découvertes ou connaissances. Pour exemple, ces barres en acier qui convoqueraient l’art minimal si des lumières ne les parcouraient lentement. Les pièces de la série Étalon lumière ont pour fonction de nous permettre de mesurer le temps que met la lumière d’objets célestes de notre système solaire pour nous parvenir. La lenteur, lorsqu’elle est extrême, en exprime l’éloignement tout aussi extrême. C’est avec de tels gestes artistiques que, dans l’épure incitant à la contemplation, l’artiste nous communique des informations à même d’activer nos imaginaires. Avec SN 1572 Tycho se présentant sous la forme d’une boite lumineuse qui laisse filtrer des couleurs, elle se réfère tant aux données qu’aux procédés d’observation dans le lointain. Sachant que les spectres de lumières émis par les astres renseignent les astronomes sur les natures de ces même astres, Félicie d’Estienne d’Orves brosse le portrait spectral d’une supernova thermonucléaire de la constellation de Cassiopée. C’est-à-dire qu’une fois encore elle emprunte à l’histoire de l’art cette manière qu’avaient certains peintres de l’abstraction américaine d’agencer les couleurs, en même temps qu’elle use des technologies de son temps – dans ce cas des diodes électroluminescentes – pour nous projeter dans l’imaginaire d’ailleurs dont seuls les scientifiques ont le secret.
L’exposition Soleils martiens nous incite tant à observer qu’à contempler. Considérant l’observation, c’est notamment celle d’une lamelle de météorite de métal dont elle a fait l’acquisition pour nous la présenter à la loupe. Il s’agit d’une Octaédrite dont la surface découpée est étrangement striée au point de ne rien évoquer de naturel. Comme si cet objet, extraterrestre par définition, avait été usiné par une machine que nous n’aurions pas conçue. Et l’on se prend à rêver de ne pas être les seuls dans cette immensité dont la nuit ne révèle que la proximité de quelques étoiles pourtant inatteignables si ce n’est par l’observation et/ou la contemplation. C’est ce que l’installation lumineuse Eclipse II illustre parfaitement. En reconstituant ce moment si rare où la Lune masque le Soleil, Félicie d’Estienne d’Orves se réfère tant aux scientifiques qui en profitent pour observer les éruptions solaires qu’aux civilisations anciennes qui, contemplant l’événement, se devaient d’en imaginer les récits. Quand leurs prêtresses et prêtres se devaient tout autant d’interpréter les passages si réguliers de la lumière à l’obscurité. C’était avant que le coucher de soleil, semblable à celui qui est projeté au Lieu unique, ne soit associé au romantisme d’instants partagés. Mais celui de l’artiste est particulier puisqu’il a été calculé selon des données collectées sur la planète Mars que les auteurs de sciences fiction ont si souvent fantasmée. Les sons de la compositrice Eliane Radique, que les amateurs de musique électronique connaissent bien, participent grandement à suspendre l’image en mouvement. Ils étirent l’instant pour que nous en fassions pleinement l’expérience de pensée tant il est assuré que pour l’essentiel d’entre nous, jamais nous ne vivrons ce qui reste une fiction pour les humains : un coucher de soleil sur Mars. Sachant que seuls des robots de la Nasa en ont fait l’expérience pour nous la procurer.
Et il y a ces espèces de tables sur lesquelles l’artiste a dressé des solides, parallélépipèdes ou sphères, auxquels elle associe des soleils artificiels de fin d’après-midi. Comme s’il s’agissait d’études d’ombres extirpées des anciens traités de perspective. Les ombres sont démesurées quant aux objets qu’elles prolongent. C’est ainsi que Giorgio de Chirico les peignait lorsqu’il voulait lui aussi dilater le temps de ses représentations métaphasiques qui, déjà, anticipaient notre relation à l’espace virtuel des métavers dont on parle tant aujourd’hui. Enfin, il y a ce triptyque de tirages photographiques témoignant des expériences de désert de l’artiste. Soucieuse de se reconnecter à la nature comme le faisaient ses prédécesseurs du Land Art, elle a voyagé avec le matériel lui permettant littéralement de se connecter à quelques objets célestes en pointant des rayons laser dans leur direction. Un résumé par l’image de ses pratiques consistant à associer lumière à connaissance.
Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress.