C’est dans le cadre de la Biennale de Venise que Bernar Venet présente des œuvres historiques à la Biblioteca Nazionale Marciana. Dans le même temps, sa fondation réouvre au public à l’occasion de son dixième anniversaire pour une nouvelle saison estivale, entre autres actualités à Saint-Denis, Arles, en Turquie et Chine.
C’est avec une œuvre conceptuelle que l’exposition Bernar Venet – 1961… Looking Forward de la Biblioteca Nazionale Marciana commence. Datant de 1961 et intitulée Gravier Goudron, cette installation sonore est composée d’une brouette et du magnétophone avec lequel l’artiste a enregistré le son de la roue au contact des granulats semblables à ceux de cette performance reconstituée. Pas véritablement musical, le son n’a pas non plus été composé. Bernar Venet l’a anticipé en acceptant le résultat granulaire qui a échappé à son contrôle. Jusqu’à présent, l’essentiel de son œuvre a consisté à déplacer les lignes entre détermination et indétermination. Il en est ainsi pour le Tas de charbon qu’il a aussi reconstitué à Venise dans une taille différente de celle de l’original de 1963, eu égard à la fragilité des œuvres environnantes du Titien, de Tintoret ou de Véronèse. A chaque réactivation de ce qu’il convient encore de qualifier de performance, l’œuvre se métamorphose selon la configuration des lieux. On pourrait donc aussi la considérer générative tant elle s’émancipe des règles préétablies par l’artiste. Ajoutons que la rugosité du charbon rompt avec la tendance minimaliste de l’art avec laquelle il a tant dialogué.
Ce qui saisit immédiatement dans les gigantesques parcs de sa Fondation, au Muy, c’est la monumentalité de ses œuvres. Tout comme celle des sculptures de ses amis car l’artiste est aussi collectionneur. On y découvre ses créations en acier Corten que la rouille permet de dater, orange pour les plus récentes, plus sombres pour les plus anciennes. Elles sont issues de différentes séries : Points, Lignes, Lignes indéterminées, Angles, Arcs et Effondrements. Bernar Venet a une relation des plus physique avec les matériaux de ses œuvres dont les titres sont strictement descriptifs, entre mathématique et géométrie, littéralement algorithmique. Les Points ont l’allure de sections de colonnes dont l’érosion aurait altéré les cannelures évoquant des troncs d’arbres qui, pétrifiés, seraient là pour l’éternité.
Les Lignes qui s’élancent vers le ciel nous apparaissent d’une légèreté pourtant incompatible avec le matériau qui les compose.
Quant aux Lignes Indéterminées, elles résultent de combats que l’artiste a menés avec elles à haute température en aciérie.
Et il y a les Arcs ou les Angles qui sont posés ici et là, en groupe, comme autant de collaborations avec les lois de la physique dont la gravité est la principale alliée. Nombre de ces installations se terminent en Effondrements, quand l’artiste, usant d’engins de chantier, en fait basculer une composante pour que les autres, en cascade, réorganisent l’ensemble. L’aléatoire devient alors la règle qui prime sur le contrôle de l’artiste, premier spectateur de telles sculptures se réalisant à grand fracas dans l’extrême violence d’un instant qui fait immédiatement place à la contemplation.
Cette année, c’est Jérôme Sans qui propose une exposition monographique au sein de l’espace de la galerie. Il se souvient avoir été hébergé à New York par Bernar Venet tout comme ce dernier l’avait été auparavant par Arman dès son arrivée aux Etats-Unis. Le commissaire a choisi Stefan Brüggemann dont l’exposition Inside Out est annoncée par une porte miroitante dès l’arrivée dans un des parcs de sculptures. Il s’agit d’une entrée qui s’ouvre sur l’espace extérieur au sein duquel elle est présentée. Au-delà de cette incongruité, l’extrême perfection de son revêtement en miroir l’intègre parfaitement à l’environnement qu’elle reflète si magnifiquement. Elle convoque ainsi le surréalisme dont la Belgique fête le centième anniversaire, un pays qui a su accueillir l’Arc Majeur, sur l’autoroute E411, l’une des œuvres emblématiques de Bernar Venet. Et force est de reconnaître que s’il est un sentiment qui l’emporte au Muy, c’est celui de l’étonnement face à tant créations qui, chacune, s’émancipent diversement du réel.
Il y a aussi l’usine où l’œuvre de Bernar Venet se poursuit, sans omettre les appartements qui ordinairement ne se visitent pas, mais où ses pièces côtoient celles d’artistes majeurs des XXe et XXIe siècles. Cela permet de comprendre très précisément où il se situe artistiquement. C’est dans ce contexte que l’on découvre quelques créations récentes, parmi lesquelles des pièces de la série Difféomorphisme récemment présentée à la galerie Perrotin de Paris. Il s’agit de textes scientifiques portant sur des déformations de topologies qui, appliquées numériquement à ces mêmes textes, en complexifient davantage la lecture. Ces théories portent en elles les déformations dont l’artiste, littéralement, libère les énergies contenues. La mathématique omniprésente dans le travail de Bernar Venet est ici sous-jacente, tant aux théories qu’expriment les textes qu’aux algorithmes qui les déforment.
Enfin, il y a les peintures génératives de la série Event sur laquelle l’artiste travaille actuellement. Elle s’inscrit dans la continuité des Angles et Effondrements. Bernar Venet en a déterminé les règles qui ont par la suite été codées sous la forme de scripts inscrits dans la blockchain. Il pratique ici le lâcher prise, plus encore qu’il ne l’a jamais fait puisque l’activation des algorithmes se fait sans sa participation. C’est-à-dire que les compositions sont strictement computationnelles, jusqu’à la détermination des couleurs ou textures procédurales qui convoquent la granularité de ses dessins au pastel gras. A suivre : une vente NFT est prévue avec Sotheby’s, entre autres événements à venir.
Article rédigé par Dominique Moulon