Arles, de rencontres en fondations

Qui dit Arles dit Rencontres de la photographie fondées en 1970, et une offre culturelle qui s’est singulièrement renforcée ces dernières années avec le campus créatif Luma, la Fondation Lee Ufan et plus récemment Thalie, entre autres propositions artistiques.

Carine Krecké, vue d’exposition, Perdre le nord, 2025.

De nouveaux lieux régulièrement intègrent les Rencontres d’Arles comme, depuis trois ans, les Cryptoportiques. Cette année, c’est Batia Suter qui en a investi les galeries souterraines avec l’exposition Octahydra associant des tirages photographiques à une installation vidéo toute de transparences. Tout se passe entre les images que l’artiste suisse basée à Amsterdam a collectées en grand nombre pour les assembler dans l’espace comme au sein de séquences en d’infinies transitions. Et c’est en faisant émerger l’évidence de proximités esthétiques entre monuments du monde et objets manufacturés qu’elle capte immédiatement l’attention du public dans une atmosphère empreinte d’antiquité romaine.

Carine Krecké, vue d’exposition, Perdre le nord, 2025.

L’artiste et autrice Carine Krecké qui s’est installée dans cet autre lieu patrimonial des Rencontres qu’est la Chapelle de la Charité est aussi lauréate du Luxembourg Photography Award. Son exposition intitulée Perdre le Nord nous renvoie à la guerre civile syrienne en cette époque où un conflit, médiatiquement, en chasse un autre. Nous déambulons parmi des documentations associant photographies satellites et témoignages textuels collectés par cette artiste d’investigation sur la destruction d’Irbin. Quand toutes et tous, nous avons aujourd’hui la possibilité de pratiquer le renseignement de sources ouvertes au risque de nous perdre parmi des myriades de données, entre fragments d’information et de désinformation.

Hans Haacke, Photoelectric Viewer-Controlled Coordinate System, détail, 1968.

A Luma, l’exposition Sensing the Future est dédiée aux recherches de la fin des années soixante du groupe Experiments in Art and Technology engageant artistes et ingénieurs. On y découvre l’installation interactive Photoelectric Viewer-Controlled Coordinate System (1968) de l’Allemand Hans Haacke qui scanne la présence des membres du public, à grand renfort d’électronique mêlant projecteurs infrarouges et capteurs photoélectriques, pour en éclairer les positions avec un pourtour d’ampoules. Un dispositif tout aussi novateur pour l’époque que prémonitoire pour la nôtre, considérant que nous sommes désormais géolocalisables où que l’on soit via nos objets connectés.

Koo Jeong A, vue d’exposition, [Seven Stars], 2020.

Toujours à Luma, il y a une autre installation à l’approche tout aussi contextuelle qui, quant à elle, regroupe une série de peintures monochromes qu’une scénographie en drapé de rideaux tombant tout autour du parcours théâtralise. L’ensemble intitulé [Seven Stars] de la Coréenne Koo Jeong A est régulièrement plongé dans l’obscurité. Ce qui a pour effet de révéler les représentations phosphorescentes d’étoiles évoquant les planètes du système solaire qui nous entourent. Un dialogue, donc, entre les deux tendances essentielles de l’histoire de l’art, c’est-à-dire entre figuration et abstraction.

Michelangelo Pistoletto, Metrocubo d’Infinito, 1966-2025, Galleria Continua.

C’est d’un autre dialogue dont il est question au sein de la Fondation Lee Ufan où les œuvres du Coréen sont confrontées à celles de l’Italien Michelangelo Pistoletto dont son célèbre Metrocubo d’Infinito (1966-2025). Il s’agit d’une sculpture aussi minimale que conceptuelle regroupant six miroirs refermés sur eux-mêmes qui seront brisés à la fin de l’exposition. Car le seul moyen d’entrer physiquement dans cette création d’un parfait infini que l’on ne peut qu’imaginer revient en effet à la briser. Ce qui renvoie à ces expériences scientifiques de laboratoire qui interdisent toute forme d’observation susceptible de les anéantir.

Anais Tondeur, série Tchernobyl Herbarium, Rayogrammes, depuis 2011.

Enfin, c’est dans une maison du XVIIe siècle, à seulement quelques pas des arènes d’Arles, que la Fondation Thalie propose un accrochage de sa collection intitulé Géologie des âmes qui témoigne de notre impact sur la nature. L’artiste émergente Anaïs Tondeur qui vit et travaille à Paris y présente des tirages de sa série Tchernobyl Herbarium, initiée en 2011. Des rayogrammes obtenus par le rayonnement radioactif de plantes provenant de la zone de Tchernobyl au contact de surfaces sensibles. Car « la vie », même en des situations extrêmes « trouve toujours son chemin », selon Steven Spielberg dans Jurassic Park.

Article rédigé par Dominique Moulon pour TK-21.

Art et médias à Bâle

Les actrices et acteurs du monde de l’art ont pour habitude de se retrouver en juin à Bâle à l’occasion de sa foire. L’opportunité pour les institutions et fondations entre autres événements collatéraux de soigner tout particulièrement leur programmation.

Robert Longo, We are The Monsters (Four Parts), 2025, courtoisie des galeries Pace et Thaddaeus Ropac.

A Art Basel, les œuvres de grande taille sont rassemblées au sein de l’exposition Unlimited du Hall 1 où il arrive parfois que des galeries s’associent pour présenter un même artiste, comme c’est le cas avec les Pace et Thaddaeus Ropac avec l’installation de Robert Longo We are The Monsters. Celle-ci s’articule autour d’un film rassemblant des dizaines de milliers d’images d’information datant de ces douze derniers mois. Force est de constater que le climat politique international pèse sur l’événement où les prises de position, et plus encore les silences, font débats.

Yuri Pattison, Cloud Gazing (Americium), 2024, courtoisie de la galerie Labor.

C’est davantage de climat atmosphérique dont il est question au sein du Hall 2 sur le stand de la galerie Labor où l’œuvre en temps réel Cloud Gazing de Yuri Pattison simule des nuages en totale cohérence avec ceux présents au même instant dans le ciel de Bâle. C’est en observant l’atmosphère que depuis toujours nous tentons de prédire l’avenir avec une précision qui s’améliore au rythme de l’accroissement des puissances de calcul, en cette ère de l’émergence d’une informatique quantique !

Wade Guyton, Untitled, 2023-2024, vue d’exposition à la fondation Beyeler.

Parmi les artistes contemporains à l’honneur actuellement à la fondation Beyeler, Wade Guyton s’exprime ainsi sur le mur de la salle qui lui est dédiée : « Ce qui m’intéressait, c’était la manière dont on peut faire une peinture sans être peintre ». Car ce sont bien les créations d’une époque de productibilité mécanique extrême qui y sont accrochées. Ses références étant picturales plus que photographiques, c’est par couches que Wade Guyton aborde ses pièces, mais à l’écran, avant d’en confier la production à des traceurs grand format.

Julian Charrière, The Blue Fossil Entropic Stories 2, 2013, vue d’exposition au Musée Tinguely.

De son côté, le Musée Tinguely présente une exposition personnelle temporaire de Julian Charrière. Intitulée Midnight Zone, elle place le spectateur en immersion au sein de l’univers que l’artiste déploie des salles obscures en salles lumineuses, comme celle où sont présentés trois tirages de la série The Blue Fossil Entropic Stories où l’artiste s’en prend à un iceberg au chalumeau. On comprend que le réchauffement climatique est de notre responsabilités à tous au quotidien. Car s’il ne vient à personne l’idée de faire fondre sciemment la banquise, c’est pourtant ce que nous faisons depuis là où chacun d’entre nous se trouve en consommant de manière irraisonnée.

Steve McQueen, Bass, 2024, vue d’exposition à la fondation Laurenz Schaulager.

Dès l’entrée de la fondation Laurenz Schaulager, le public est une nouvelle fois plongé en immersion, par l’artiste Steve McQueen qui explique : « Ce que j’aime dans la lumière et le son, c’est qu’ils sont tous deux créés par le mouvement et la fluidité ». La quasi-totalité du monument baigne dans une lumière dont la couleur change imperceptiblement. A la mesure de notre monde qui, toujours, est en mouvement bien qu’il faille parfois prendre un peu de recul pour s’en apercevoir. Quant au son, c’est celui d’une guitare basse qui, lentement, égrène des notes amplifiées, ce qui a pour effet de ralentir nos déplacements dans l’espace de la fondation ainsi métamorphosé temporairement pour cette exposition tout simplement intitulée Bass.

Crosslucid, Dwellers Between the Waters, depuis 2023, vue d’exposition à la Haus der Elektronischen Künste.

Enfin, à la Haus der Elektronischen Künste, l’exposition D’autres intelligences présente l’installation immersive Between the Waters que les artistes du duo Crosslucid ont conçue et réalisée avec des intelligences artificielles génératives. Il y a de réelles correspondances entre ce qui est sculpté – à l’extérieur des images – et ce qui est généré – présenté en projection. De cet univers résolument organique convoquant le surréalisme se dégage une inquiétante étrangeté qui a été pensée par le duo en dialogue avec leurs machines. Car les artistes, depuis toujours, ont une appétence pour les outils, techniques ou technologies de leur temps.

Article rédigé par Dominique Moulon pour TK-21.