Du 4 au 21 décembre dernier, le festival ]interstice[ de Caen présentait les créations numériques sonores et lumineuses d’une trentaine d’artistes au sein de douze lieux. Des parcours diurnes et nocturnes qui se déployaient dans l’école d’art et des équipements culturels entre autres sites patrimoniaux de cette ville créative de l’UNESCO depuis 2023.

C’est à l’école supérieure d’arts et médias de Caen/Cherbourg que la 19e édition du festival ]interstice[ a été inaugurée avec une performance et deux installations sonores dont celle de Virgile Abela intitulée Infinite Pendulums. Il s’agit de quatre sphères identiques et transparentes permettant par conséquent de découvrir les mécanismes qui en activent les mouvements de balancier de part et d’autre d’un microphone suspendu. Chaque pendule étant équipé de hauts parleurs, il s’en suit un effet Larsen qui emplit l‘espace d’infinies variations accompagnées de modulations de lumières colorées. Les lois de la physique, dont la gravité, participent ainsi grandement à l’élaboration de la musique générée en temps réel par cet instrument déambulatoire. Au point que l’on peut qualifier les expériences des auditrices et auditeurs d’unique, puisque jamais elles ne se répètent à l’identique.

L’écho des pierres de Julien Poidevin est une autre installation in situ de la programmation en journée d’]interstice[ placée au sein de la Coopérative Chorégraphique qui occupe le Sépulcre de Caen. Elle invite le public à découvrir quatre éléments rotatifs composés de miroirs et de haut-parleurs directionnels disposés de façon que les sons émis se répercutent de surface en surface pour nous englober. Notre regard peine à suivre les rebonds qui, de toute façon, se déplacent dans l’invisible. Dans l’alignement, Porz An Park & Arnaud Gerniers se jouent tout autant de notre perception visuelle en nous présentant un autre disque dont l’aura lumineuse qui l’entoure, en convoquant le divin en un tel lieu, ne se situe pas tout à fait là où on la pressentait. S’inscrivant dans la continuité des anciens qui utilisaient l’immatérialité de l’or pour représenter les nimbes en peinture, les deux artistes préfèrent les lois de l’optique en sculpture.

Le festival ]interstice[ propose de multiples expériences qui, littéralement, se vivent, comme c’est encore le cas avec l’installation sono-lumineuse Ataraxie de Maxime Houot présentée au sein de l’église Saint-Nicolas du parcours nocturne. Les rayons lasers de lumière rouge qui prolongent une rangée de bras articulés balayent l’espace selon une progression rythmée par une musique électronique de nappes. L’œuvre performative communique sa couleur à l’église dont l’architecture intérieure accueille parfaitement les maillages de différents types, allant du chaos absolu à des tressages tout particulièrement englobants. Nous habitons l’œuvre bien que nous soyons, pour des raisons de sécurité, à bonne distance des surfaces balayées. Nos pensées s’abandonnent aux évolutions de ses temporalités. Rappelons que le terme “ataraxie”, en Grec, désigne une forme de quiétude.

Une étrange machine tout particulièrement scénographiée par la lumière comme par le son se donne en spectacle aux Écuries Lorge. Conçue, puis améliorée au fil de ses résidences par Alexis Choplain, Hydroscope se compose de six unités identiques reliées par une courbe sinusoïdale à l’extrême souplesse. On pense alors au traitement du signal bien que s’en approcher permet d’identifier sa nature liquide qui convoque, quant à elle, la mécanique des fluides. A l’observation de ce qui a l’allure d’une expérience de laboratoire, nous vérifions que la magie de l’eau, sculptée tant par la gravité que par la lumière qui la révèle, opère sur notre perception. Alexis Choplain compte parmi les quelques artistes qui considèrent l’élément aquatique non comme un sujet mais comme un medium à grand renfort de techniques et technologies. Car de tels dispositifs sont compliqués à mettre en place au sein de musée ou centre d’art. C’est aussi à cela qu’œuvrent les festivals du réseau national Hacnum des arts hybrides et cultures numériques dont les terrains d’action se situent à la périphérie des préoccupations institutionnelles.

C’est une autre forme de magie qui opère au Centre chorégraphique national de Caen. Celle du magnétisme qui permet à Guillaume Cousin de contrôler les surfaces d’eau de trois bassins. Confortablement assis, le public contemple les formations et déformations de ce qui convoque la biologie cellulaire, le tout augmenté de sons étirés de cordes en vibration. Qui n’a jamais observé la formation d’ondes à la surface d’eaux calmes avec les rayons d’un soleil levant ou couchant ? L’éternel retour, selon Nietzsche, c’est la promesse de revivre des instants similaires, illuminations que ce dernier eut aux abords d’un lac Suisse aux eaux paisibles. Ce que nous propose Guillaume Cousin, c’est d’observer à nouveau le spectacle d’une eau si nécessaire à la vie et à lumière rasante. Quand la promesse nous est faite par l’équipe du festival ]interstice[ de vivre à nouveau des expériences aussi rares que fascinantes en cette ville de Caen.
Article rédigé par Dominique Moulon pour TK-21.