Asia Culture Center, Gwangju

C’est en 2014 que Gwangju est devenue la première ville créative de l’UNESCO en Corée du Sud. Et c’est avec l’Organisation des Nations Unies que la Gwangju Media Art Platform organisait le 27 novembre dernier une journée d’étude consacrée à l’intelligence artificielle dans les champs de la création. L’occasion pour les intervenantes et intervenants de découvrir le dynamisme de l’Asia Culture Center au travers de ses expositions dont l’une est dédiée à Ryoji Ikeda et l’autre à ses artistes en résidence réunis sous l’intitulé “Artificial You”.

Ryoji Ikeda, dada.flux [n°2], 2025.

C’est avec l’installation test pattern (2008) de Ryoji Ikeda qui a parcouru le monde que l’Asia Culture Center (ACC) a été inauguré à Gwangju en 2015. Et c’est pour célébrer son dixième anniversaire que l’institution présente une exposition monographique de cet artiste et compositeur japonais. L’entrée se fait en empruntant le couloir de la pièce dada.flux [n°2] produite pour l’occasion. Le flux incessant des caractères de lumière blanche qui défilent par paquet, littéralement, nous aspire. Il s’agit de data, sa véritable signature, qui sont ici de nature génétique. Leur nombre dit la complexité de l’ADN qui nous singularise tant comme individu que comme espèce, d’autant plus qu’il contient des fragments d’informations relatives à nos ancêtres les plus lointains. Nos vies durant nous avons à gérer nos coefficients de différences et de similarités pour faire société : comme souvent chez Ryoji Ikeda, l’approche formelle est minimale et le discours universel.

Ryoji Ikeda, critical mass, 2025.

S’en suivent deux installations où le cercle est la règle : critical mass (2025) et point of no return (2018). La première est monumentale et nous attire inexorablement vers son centre que des informations au sol pourtant nous interdisent d’atteindre. Toute notre attention est focalisée sur ce point d’où émergent des disques de lumière et d’ombre qui viendront s’éteindre à nos pieds. La masse critique, en physique, c’est la masse minimale de matière fissile, celle susceptible de déclencher une réaction de fission nucléaire en chaîne, en cette heure de la réémergence de possibles cataclysmes.

Ryoji Ikeda, point of no return, 2018.

La seconde installation est similaire dans sa relation au circulaire mais différente par sa verticalité. Et son titre évoque ce point de non-retour que les plus pessimistes d’entre nous entrevoient, mais que globalement nous refusons d’envisager. Il en est ainsi des œuvres minimales : les contextes géopolitiques de leur monstration influent sur nos perceptions. Ajoutons à cela que les sons étirés de tels dispositifs évoquent tant les événements d’un temps suspendu que leur relative instabilité.

Ryoji Ikeda, sleeping beauty (π), 2025.

Le cercle comptant parmi les obsessions de l’artiste visuel, il lui consacre une pièce de sa série sleeping beauty en se focalisant sur le nombre π qui désigne le rapport entre sa circonférence et son diamètre. Il s’agit d’une plaque en impression UV sur acrylique qui est disposée sur le socle qui la rétro-éclaire donnant au nombre infini le statut d’une œuvre d’art. Sa surface, à distance, semble n’afficher que du bruit et il convient de s’en approcher pour en décrypter quelques fragments. L’idée que l’inscription de Pi puisse s’étendre sur toutes les surfaces jusqu’à la fin des temps est saisissante. Sachant que son calcul est aussi précieux aux biologistes pour l’appréhension du vivant qu’aux astronomes pour celle de l’univers, soit des beautés propres à ces domaines scientifiques.

Ryoji Ikeda, data verse 1/2/3, 2019-2020.

L’autre pièce marquante de l’exposition se compose des data verse 1, 2 et 3 (2019-2020) en projections de grande taille qui confèrent sa dimension immersive propice à la contemplation à l’espace de monstration baignant dans une relative obscurité. Les visualisations animées de données allant des activités de nos cellules de l’infiniment petit à l’immensité d’un univers dont on a peine à saisir les limites spatiales et temporelles sont ponctuées par la répétition de sons stridents qui participent grandement de l’esthétique du compositeur. On ne peut que s’abandonner aux formes audios et visuelles, et il est même difficile de s’en extraire tant elles sont hypnotisantes comme le sont les dimensions qui nous surpassent.

Timothy Thomasson, Centurion, 2025.

Associant art et culture ou recherche et pédagogie, l’Asia Culture Center de Gwangju est aussi impressionnant par la taille de ses bâtiments que par la diversité de ses activités. Pour exemple, un studio de production créative accueille l’exposition Artificial You des artistes d’un programme de résidence. On y découvre notamment l’installation en 3D temps réel Centurion (2025) de l’artiste émergent canadien Timothy Thomasson. Dans l’armée romaine, le centurion commandait une soixantaine d’hommes, ici il n’en commande plus aucun. Dans son appartement contemporain sans décor, il n’exprime que l’ennui d’un combattant dans l’attente d’engagements. La vacuité de son existence évoque celle des personnages non-jouables de jeux vidéo dans l’attente des actions d’avatars contrôlés. On pense alors aux mondes persistants désertés par leurs utilisatrices ou utilisateurs bien que restant accessibles sur quelques serveurs qui ne sont plus mis à jour. Ce qui pose la question de l’oubli tant des lieux virtuels que des avatars à l’ère de l’augmentation exponentielle des données ou mémoires des intelligences artificielles qui, de plus en plus, s’interconnectent. On est là au cœur des problématiques abordées par la Media Art Platform de Gwangju pendant les temps d’échanges qu’elle organise régulièrement pour anticiper des futurs souhaitables.

Remerciements au Service culturel de l’ambassade de France en Corée.

Article rédigé par Dominique Moulon pour ArtsHebdoMedias.com.

Code + Matter

C’est à l’occasion de la foire Art Basel et dans le programme de la Biennale Némo que les quatre artistes aux pratiques génératives Alexis André, Julien Espagnon, William Mapan et Florian Zumbrunn ont donné diverses formes de matérialité à leurs recherches au sein de l’exposition collective parisienne Code + Matter.

Code + Matter, Paris, vue d’exposition, 2025.

Étrange décennie que celle des années 2020 commencée avec une pandémie qui, indirectement, révéla quelques pratiques artistiques numériques en ligne au grand public. Il est toutefois bon de rappeler ici qu’il y a de l’électronique dans l’art depuis les années 1960 et des œuvres sur internet depuis les années 1990. Parmi les tendances qui ont évolué à bas bruit ces soixante dernières années pour enfin accéder à la lumière, il y a l’art génératif que l’on associe généralement aux pratiques du code permettant de “générer” des créations, notamment visuelles et avec des algorithmes. Des innovations majeures comme l’ordinateur personnel et le web puis la blockchain ont permis à cette tendance de s’affiner, sans omettre l’augmentation des puissances de calcul réduisant significativement le temps d’attente entre le faire et le voir, aujourd’hui pour le plus grand nombre.

Code + Matter, Portfolio, 2025.

Au fil du temps, des communautés ou collectifs se sont formées, au gré de langages ou plateformes, d’approches ou de formes. C’est ainsi qu’Alexis André, Julien Espagnon, William Mapan et Florian Zumbrunn se sont rapprochés. Ils ont en commun une même appétence pour le code leur permettant d’aborder la création d’une manière sérielle, comme pour épuiser leurs sujets. Tout en pratiquant chacun à sa manière des allers et retours entre l’immatérialité de scripts ciselés et la matérialité de pièces physiques. Animés d’une égale volonté de partager, ils poursuivent l’aventure abstraite en réactivant autrement les approches. Et comme c’est généralement le cas en art génératif, leurs process de création sont à considérer comme autant de composantes essentielles d’œuvres “figées” à des instants précis.

Alexis André, De la Discorde, 2025.

Alexis André est un artiste du temps long et ce à différents égards. Tout d’abord avec ses séquences qui, sans cesse, se raffinent au rythme de déambulations semi contrôlées. Même les images arrêtées qu’il produit et diffuse quotidiennement évoque de probables avants autant que de possibles après. Jusqu’aux applications qu’il a commencées à coder il y a déjà longtemps. Et qu’il continue d’améliorer tout aussi régulièrement, bien entendu à la virgule près, mais en laissant à la machine, au hasard ou à l’humain une extrême liberté. Ses collaborations s’inscrivent aussi dans la durée lorsqu’il partage une même interface au sein de domaines aussi variés que la céramique, l’architecture, la mode ou la musique. Même son approche de l’espace, virtuel ou tangible, semble se faire au travers d’un temps étiré, comme si sa pensée des formes était indissociable de l’interprétation pas à pas de ses algorithmes.

Julien Espagnon, Chimère I & Chimère III, 2025.

Au centre de l’atelier de Julien Espagnon trône une machine aux bras, rouages et courrois visibles à laquelle il délègue la finalisation, par le dessin ou la peinture, de ses créations. Il arrive que cette présence mécanique influe aussi l’esthétique généralement abstraite de ses représentations qui commencent toujours avec du code. S’en suivent alors d’innombrables va-et-vient entre les scripts d’un langage de programmation et le langage de matières colorées. Julien Espagnon a pour obsession de perfectionner ses instructions afin d’en obtenir d’infinies variations. Cette mécanisation du process créatif reste perceptible bien qu’il s’agisse de peinture à l’huile. Il persiste un je-ne-sais-quoi de non humain qui, bien que s’inscrivant dans la continuité des pratiques picturales de maîtres anciens, les réactivent autrement en cette troisième révolution industrielle.

William Mapan, Terrain de jeu infini & Pause inespérée, 2025.

William Mapan compte quant à lui parmi ces artistes dont on peut appréhender globalement les créations par les détails. Une part non négligeable des scripts qu’il développe est dédiée aux textures de compositions souvent enchevêtrées. Face à de tels tirages, on a peine à croire à l’absence d’usage de brosses de quelque nature qu’elles soient par l’humain. Comme pour mieux comprendre le geste en peinture que pourtant il sait si bien décrire avec des caractères, de plus en plus régulièrement il passe de l’autre côté du miroir pour expérimenter en atelier les supports, outils ou pigments traditionnels des peintres. Il multiplie lui aussi les allers et retours en s’inspirant des compositions qu’il scripte pour réaliser, en intérieur, des pochades avec lesquels il revisite l’histoire de l’abstraction. Car les tendances en art, toujours, réémergent au gré des innovations qui en déplacent les lignes.

Florian Zumbrunn, Canopée, 2025.

Parmi les traits qui illustrent au mieux l’esthétique que développe Florian Zumbrunn, il y a l’attachement qu’il porte aux rehauts à la mine ou au pastel. C’est la nature, sujet ô combien contemporain, qui souvent l’inspire. Ainsi, il a observé les mouvements en art, dont l’impressionnisme, qui l’ont consacré. Dans son travail, le geste est omniprésent, des esquisses aux rehauts. Pourtant, au cœur de ses impressions dont celles exprimant une nature foisonnante, il y a du code qui en instruit les moindres détails. Et c’est en revenant par le trait, à maintes et maintes reprises au-dessus de tels détails, qu’il défie nos regards. Impossible de distinguer les expressions des algorithmes de ce qui, si parfaitement, les complète dans un second temps. Les actions de l’humain et du non humain sont en parfaites symbiose comme c’est la règle en cette troisième décennie du 21e siècle.

Article rédigé par Dominique Moulon pour TK-21.

Mondes Fluides

Julian Charrière, Spiral Economy, 2025, vue d’exposition, Midnight Zone, Musée Tinguely, Bâle, © 2025 ProLitteris, Zürich, photographie Matthias Willi.

L’exposition personnelle temporaire Midnight Zone de Julian Charrière au Musée Tinguely de Bâle nous accueille avec une photographie sous-marine présentant une étagère aux piles d’assiettes inutilisées depuis de naufrage volontaire du porte-avions américain Saratoga en 1946. S’en suivent d’autres tirages de la série Where Waters Meet aux chorégraphies silencieuses de corps nus, en suspension, entre deux eaux. Le ton de cette exposition qui baigne dans une relative obscurité est donné, le temps y est figé, les sons assourdis. Nous ne verrons le soleil en vidéo que du dessus, au travers de la couche liquide filmée qui nous sépare de la surface de l’eau et via l’installation vidéo vaporeuse Silent World nous mettant en situation. Une autre installation intitulée Calypso au masque de plongée à la surface miroitante, littéralement, nous implique. Mais l’objet qui fascine, considérant sa multiplication par l’image sur les médias sociaux, c’est Spiral Economy : un distributeur automatique d’ammonites se réfléchissant à l’infini, ou presque. Des animaux disparus il y a des dizaines de millions d’années dont les fossiles témoignent encore de mers préhistoriques retirées. Cela a pour effet de placer le public dans un temps long, profondément incompatible avec nos modes de consommation actuels. Un temps étiré que souligne l’expérience dite « de la goutte de poix » qui, imperceptiblement, s’écoule au sein du dispositif sculptural Pitch Drop.

Julian Charrière, The Blue Fossil Entropic Stories III, 2013, vue d’exposition, Midnight Zone, Musée Tinguely, Bâle, © 2025 ProLitteris, Zürich, collection Dittrich & Schlechtriem, photographie Matthias Willi.

Après quelques séquences documentant l’étrangeté des étendues d’eau et de glace, une salle surprend subitement par son extrême luminosité. Trois photographies de la série The Blue Fossil Entropic Stories témoignent d’une action performative désespérée de l’artiste dans laquelle il s’attaque à un iceberg de l’océan Arctique au chalumeau à gaz. Un acte résolument symbolique qui renvoie à notre inaction climatique collective. De retour dans l’obscurité, deux installations intitulées Midnight Zone s’articulent autour de l’usage d’une lentille de Fresnel semblable à celles qui équipent les phares annonçant, la nuit, les rivages ou ports aux marins. L’une de ces deux créations témoigne de la performance durant laquelle l’artiste suit la lentille qu’il a fait s’enfoncer dans l’océan Pacifique, l’autre présente le dispositif lumineux magnifié par des surfaces miroitantes, plaçant le public en immersion totale. Le détournement par l’artiste de l’usage originel de l’appareil visant à prévenir les naufrages n’est pas neutre. Devenu objet d’art dans ce contexte muséal, il attire notre attention sur le désastre global qui serait consécutif à l’extraction sans limites des ressources des fonds marins du monde. Ou quand la contemplation, considérant cette œuvre-exposition de Julian Charrière, vise aussi à éveiller les consciences.

Article rédigé par Dominique Moulon pour Art Absolument.

Le festival Scopitone de Nantes

La 23e édition du festival Scopitone s’est tenue en divers lieux de l’île de Nantes du 17 au 21 septembre dernier. Focus sur l’exposition Prophéties organisée par Anne-Laure Belloc, directrice de la programmation Arts & Cultures numériques du Stereolux, qui y a regroupé une douzaine d’artistes, duos ou collectifs.

Thomas Garnier, Taotie, 2022.

A la galerie de l’Ordre des architectes, on pouvait voir Taotie de Thomas Garnier. Les Taoties sont des créatures de la mythologie chinoise, or il s’agit ici d’une installation lumineuse renvoyant au théâtre d’ombres qui compte parmi les expériences pré-cinématographiques. Mais dans ce cas, c’est un robot, conçu par l’artiste, qui déplace des structures imprimées en trois dimensions. Équipé d’une lumière, il projette ce qui a l’apparence d’une ville en filaire toute de transparence. Le spectacle de construction/déconstruction qui se joue sous nos yeux, en cette époque d’extrême automatisation, convoque les chaînes logistiques des entrepôts entièrement robotisés. Là où il n’y a pas âme qui vive mais uniquement des machines dont les ballets incessants, parfaitement organisés, sont au service de notre consommation effrénée.

Alain Josseau, UAV Factory, 2025.

Au sein des Halles du pôle Samoa, est installée la chaîne de montage/démontage d’un autre théâtre, celui des opérations en Ukraine nous vient à l’esprit. Là où la guerre, n’ayant rien perdu de sa cruauté, s’adapte à grand renfort de technologies. A l’industrie militaire tenue par des nations, s’ajoute l’ingéniosité de makers locaux. Pour un conflit dont on ne sait pas véritablement dater le début et qui nous apparaît aujourd’hui sans possible fin. Rien de nouveau en soit : les guerres ont toujours été les lieux de l’émergence ou de la validation de machines à tuer en tout genre. Cette idée qu’elles finissent par s’alimenter elles-mêmes en échappant à toute forme de contrôle est au centre de l’installation automatisée UAV Factory d’Alain Josseau qui génère les simulacres de drones qu’en apparence elle détruit dans un même temps pour mieux nous les présenter à nouveau.

Véronique Béland & Julie Hétu, L’archéosténographe, 2025.

Toujours aux Halles Samoa, une autre machine est à la tâche. Intitulée L’archéosténographe par ses autrices Véronique Béland et Julie Hétu, elle nous apparaît tout aussi “infatigable”. Ayant l’allure d’une sténotype, initialement dédiée à la saisie rapide de textes en phonétique, elle retranscrit en signes préhistoriques les mythes sur le futur de l’humanité qu’une intelligence artificielle lui dicte. La coexistence des temporalités, allant des temps anciens à des futurs lointain en passant par la mécanique d’un passé immédiat, est pour le moins inattendue. Avec l’intelligence artificielle qui s’invite actuellement dans des domaines aussi variés que le déchiffrement de caractères antiques, la retranscription de nos visioconférences ou la prédiction de comportements en devenir !

Albertine Meunier, Qui est là ? 2024.

Dans la galerie des Beaux-Arts de Nantes, l’approche d’Albertine Meunier avec Qui est là ? est tout aussi transhistorique. Cette installation générative est constituée d’une machine télégraphique en entrée, et d‘un écran à cristaux liquides permettant au public de saisir un prompt pour obtenir une image en sortie. Elle doit son titre à la touche Qui est là ? qui équipait de telles machines. Ce qui illustre tout à fait notre désarroi quand, parfois, les agents conversationnels qui ont réponse à tout nous surprennent au point de se demander : « Mais qu’ai-je en face de moi ? ». Le code morse permettant aux télégraphistes d’antan d’échanger des informations précède le langage des machines. Mais ce qui a changé depuis, c’est la nature de cet autre technologique à qui nous nous adressons aujourd’hui avec tant d’aisance. Quand les prophéties d’hier sont devenues réalités…

Article rédigé par Dominique Moulon pour TK-21.

Arles, de rencontres en fondations

Qui dit Arles dit Rencontres de la photographie fondées en 1970, et une offre culturelle qui s’est singulièrement renforcée ces dernières années avec le campus créatif Luma, la Fondation Lee Ufan et plus récemment Thalie, entre autres propositions artistiques.

Carine Krecké, vue d’exposition, Perdre le nord, 2025.

De nouveaux lieux régulièrement intègrent les Rencontres d’Arles comme, depuis trois ans, les Cryptoportiques. Cette année, c’est Batia Suter qui en a investi les galeries souterraines avec l’exposition Octahydra associant des tirages photographiques à une installation vidéo toute de transparences. Tout se passe entre les images que l’artiste suisse basée à Amsterdam a collectées en grand nombre pour les assembler dans l’espace comme au sein de séquences en d’infinies transitions. Et c’est en faisant émerger l’évidence de proximités esthétiques entre monuments du monde et objets manufacturés qu’elle capte immédiatement l’attention du public dans une atmosphère empreinte d’antiquité romaine.

Carine Krecké, vue d’exposition, Perdre le nord, 2025.

L’artiste et autrice Carine Krecké qui s’est installée dans cet autre lieu patrimonial des Rencontres qu’est la Chapelle de la Charité est aussi lauréate du Luxembourg Photography Award. Son exposition intitulée Perdre le Nord nous renvoie à la guerre civile syrienne en cette époque où un conflit, médiatiquement, en chasse un autre. Nous déambulons parmi des documentations associant photographies satellites et témoignages textuels collectés par cette artiste d’investigation sur la destruction d’Irbin. Quand toutes et tous, nous avons aujourd’hui la possibilité de pratiquer le renseignement de sources ouvertes au risque de nous perdre parmi des myriades de données, entre fragments d’information et de désinformation.

Hans Haacke, Photoelectric Viewer-Controlled Coordinate System, détail, 1968.

A Luma, l’exposition Sensing the Future est dédiée aux recherches de la fin des années soixante du groupe Experiments in Art and Technology engageant artistes et ingénieurs. On y découvre l’installation interactive Photoelectric Viewer-Controlled Coordinate System (1968) de l’Allemand Hans Haacke qui scanne la présence des membres du public, à grand renfort d’électronique mêlant projecteurs infrarouges et capteurs photoélectriques, pour en éclairer les positions avec un pourtour d’ampoules. Un dispositif tout aussi novateur pour l’époque que prémonitoire pour la nôtre, considérant que nous sommes désormais géolocalisables où que l’on soit via nos objets connectés.

Koo Jeong A, vue d’exposition, [Seven Stars], 2020.

Toujours à Luma, il y a une autre installation à l’approche tout aussi contextuelle qui, quant à elle, regroupe une série de peintures monochromes qu’une scénographie en drapé de rideaux tombant tout autour du parcours théâtralise. L’ensemble intitulé [Seven Stars] de la Coréenne Koo Jeong A est régulièrement plongé dans l’obscurité. Ce qui a pour effet de révéler les représentations phosphorescentes d’étoiles évoquant les planètes du système solaire qui nous entourent. Un dialogue, donc, entre les deux tendances essentielles de l’histoire de l’art, c’est-à-dire entre figuration et abstraction.

Michelangelo Pistoletto, Metrocubo d’Infinito, 1966-2025, Galleria Continua.

C’est d’un autre dialogue dont il est question au sein de la Fondation Lee Ufan où les œuvres du Coréen sont confrontées à celles de l’Italien Michelangelo Pistoletto dont son célèbre Metrocubo d’Infinito (1966-2025). Il s’agit d’une sculpture aussi minimale que conceptuelle regroupant six miroirs refermés sur eux-mêmes qui seront brisés à la fin de l’exposition. Car le seul moyen d’entrer physiquement dans cette création d’un parfait infini que l’on ne peut qu’imaginer revient en effet à la briser. Ce qui renvoie à ces expériences scientifiques de laboratoire qui interdisent toute forme d’observation susceptible de les anéantir.

Anais Tondeur, série Tchernobyl Herbarium, Rayogrammes, depuis 2011.

Enfin, c’est dans une maison du XVIIe siècle, à seulement quelques pas des arènes d’Arles, que la Fondation Thalie propose un accrochage de sa collection intitulé Géologie des âmes qui témoigne de notre impact sur la nature. L’artiste émergente Anaïs Tondeur qui vit et travaille à Paris y présente des tirages de sa série Tchernobyl Herbarium, initiée en 2011. Des rayogrammes obtenus par le rayonnement radioactif de plantes provenant de la zone de Tchernobyl au contact de surfaces sensibles. Car « la vie », même en des situations extrêmes « trouve toujours son chemin », selon Steven Spielberg dans Jurassic Park.

Article rédigé par Dominique Moulon pour TK-21.

Art et médias à Bâle

Les actrices et acteurs du monde de l’art ont pour habitude de se retrouver en juin à Bâle à l’occasion de sa foire. L’opportunité pour les institutions et fondations entre autres événements collatéraux de soigner tout particulièrement leur programmation.

Robert Longo, We are The Monsters (Four Parts), 2025, courtoisie des galeries Pace et Thaddaeus Ropac.

A Art Basel, les œuvres de grande taille sont rassemblées au sein de l’exposition Unlimited du Hall 1 où il arrive parfois que des galeries s’associent pour présenter un même artiste, comme c’est le cas avec les Pace et Thaddaeus Ropac avec l’installation de Robert Longo We are The Monsters. Celle-ci s’articule autour d’un film rassemblant des dizaines de milliers d’images d’information datant de ces douze derniers mois. Force est de constater que le climat politique international pèse sur l’événement où les prises de position, et plus encore les silences, font débats.

Yuri Pattison, Cloud Gazing (Americium), 2024, courtoisie de la galerie Labor.

C’est davantage de climat atmosphérique dont il est question au sein du Hall 2 sur le stand de la galerie Labor où l’œuvre en temps réel Cloud Gazing de Yuri Pattison simule des nuages en totale cohérence avec ceux présents au même instant dans le ciel de Bâle. C’est en observant l’atmosphère que depuis toujours nous tentons de prédire l’avenir avec une précision qui s’améliore au rythme de l’accroissement des puissances de calcul, en cette ère de l’émergence d’une informatique quantique !

Wade Guyton, Untitled, 2023-2024, vue d’exposition à la fondation Beyeler.

Parmi les artistes contemporains à l’honneur actuellement à la fondation Beyeler, Wade Guyton s’exprime ainsi sur le mur de la salle qui lui est dédiée : « Ce qui m’intéressait, c’était la manière dont on peut faire une peinture sans être peintre ». Car ce sont bien les créations d’une époque de productibilité mécanique extrême qui y sont accrochées. Ses références étant picturales plus que photographiques, c’est par couches que Wade Guyton aborde ses pièces, mais à l’écran, avant d’en confier la production à des traceurs grand format.

Julian Charrière, The Blue Fossil Entropic Stories 2, 2013, vue d’exposition au Musée Tinguely.

De son côté, le Musée Tinguely présente une exposition personnelle temporaire de Julian Charrière. Intitulée Midnight Zone, elle place le spectateur en immersion au sein de l’univers que l’artiste déploie des salles obscures en salles lumineuses, comme celle où sont présentés trois tirages de la série The Blue Fossil Entropic Stories où l’artiste s’en prend à un iceberg au chalumeau. On comprend que le réchauffement climatique est de notre responsabilités à tous au quotidien. Car s’il ne vient à personne l’idée de faire fondre sciemment la banquise, c’est pourtant ce que nous faisons depuis là où chacun d’entre nous se trouve en consommant de manière irraisonnée.

Steve McQueen, Bass, 2024, vue d’exposition à la fondation Laurenz Schaulager.

Dès l’entrée de la fondation Laurenz Schaulager, le public est une nouvelle fois plongé en immersion, par l’artiste Steve McQueen qui explique : « Ce que j’aime dans la lumière et le son, c’est qu’ils sont tous deux créés par le mouvement et la fluidité ». La quasi-totalité du monument baigne dans une lumière dont la couleur change imperceptiblement. A la mesure de notre monde qui, toujours, est en mouvement bien qu’il faille parfois prendre un peu de recul pour s’en apercevoir. Quant au son, c’est celui d’une guitare basse qui, lentement, égrène des notes amplifiées, ce qui a pour effet de ralentir nos déplacements dans l’espace de la fondation ainsi métamorphosé temporairement pour cette exposition tout simplement intitulée Bass.

Crosslucid, Dwellers Between the Waters, depuis 2023, vue d’exposition à la Haus der Elektronischen Künste.

Enfin, à la Haus der Elektronischen Künste, l’exposition D’autres intelligences présente l’installation immersive Between the Waters que les artistes du duo Crosslucid ont conçue et réalisée avec des intelligences artificielles génératives. Il y a de réelles correspondances entre ce qui est sculpté – à l’extérieur des images – et ce qui est généré – présenté en projection. De cet univers résolument organique convoquant le surréalisme se dégage une inquiétante étrangeté qui a été pensée par le duo en dialogue avec leurs machines. Car les artistes, depuis toujours, ont une appétence pour les outils, techniques ou technologies de leur temps.

Article rédigé par Dominique Moulon pour TK-21.

Sculpter l’invisible

Les commissaires Dominique Moulon et Davide Sarchioni se sont associés pour présenter le travail de l’artiste italien Antonio Barbieri à la galerie NM Contemporary de Monaco. Cette exposition intitulée Sculpter l’invisible présente une nature magnifiée par les technologies numériques.

Antonio Barbieri, Palynomorphs (disegni), 2024-25, photographie Loïc Thébaud.

Dans la Grèce antique, c’est la nature elle-même qui fait œuvre que les artistes se doivent de reproduire le plus fidèlement possible. C’est aussi ce que fait Antonio Barbieri lorsqu’il nous présente les dessins de modèles en trois dimensions de Pollens dont il a confié l’exécution, dans leurs moindres détails, à une machine. Rappelons à ce propos que le terme pollen nous vient du Grec ancien palê qui signifie poussière, sachant que notre biodiversité dépend très largement de ces infimes particules que les insectes et les vents se partagent. En les grossissant singulièrement, l’artiste nous projette dans l’infiniment petit, ce qui a pour effet de nous sensibiliser sur leur vulnérabilité quant aux menaces les plus diverses. Mais Antonio Barbieri ne se contente pas de représenter la nature telle qu’elle est lorsqu’il l’hybride symboliquement comme on le fait en laboratoire de recherche pour faire face aux défis climatiques qui se profilent à l’horizon.

Antonio Barbieri, Auryn (Chimera), 2025, photographie Loïc Thébaud.

Notons la précision des procédés photogrammétriques d’acquisition dont il fait usage pour créer ce qu’il nomme Chimères. Par leur niveau de détail, de telles pièces imprimées en trois dimensions selon divers procédés de prototypage rapide préservent un lien étroit à la réalité de plantes ou de champignons. Et c’est en recombinant des fragments de réel que l’artiste s’en éloigne de la même manière que les jardiniers et les peintres recomposent la nature en usant de géométries secrètes ou d’accords chromatiques. Nous sommes ici face à un corpus d’œuvres où le vivant dialogue avec les techniques, ce à quoi l’histoire de l’art est coutumière, bien qu’il s’agisse là de technologies contemporaines.

Antonio Barbieri, Sarcopoterium (rosa spinosa), 2025, photographie Loïc Thébaud.

Les cybernéticiens d’autrefois le savaient déjà : tout, dans la nature, si inspirante qu’elle soit, peut être modélisé. Pour les scientifiques d’aujourd’hui, les algorithmes sont “génétiques” et les réseaux “neuronaux”. Quant aux artistes comme Antonio Barbieri dont les pratiques se situent à la croisée des arts et des sciences, ils donnent des formes à ce que les machines calculent. Ses Lichens sont autant d’interprétations artistiques de ce que les mathématiciens nomment mouvement brownien, du nom du botaniste Robert Brown qui les découvrit en 1827, justement en observant des pollens ! Le fait que l’artiste ait sculpté de telles découpes pour leur donner des allures d’organismes composites dont la classification a évolué dans le temps dit son appétence pour une certaine forme de complexité.

Antonio Barbieri, Lichene, 2025, photographie Loïc Thébaud.

En vue d’évoquer des arbustes méditerranéens dans sa série des Sarcopoterium, Antonio Barbieri recombine des données captées en milieux naturels selon des structures géométriques fractals pouvant se répéter à l’infini. La vue de ses sculptures métalliques finement colorées qui apparaissent comme figées dans leurs développements nous place dans la situation des scientifiques pour qui tout commence par l’observation. Chaque détail nous rapproche de la compréhension d’un tout qui dissipe la complexité. Un mouvement intempestif, et tout bascule, sans omettre le dessin des ombres qui fait se répéter ces structures dans un ailleurs où tout est plus instable encore.

Antonio Barbieri, Figura #1, 2025, photographie Loïc Thébaud.

S’il est une rupture en art dans la relation des artistes à la nature qui, non pas s’en éloignent mais privilégient la représentation de leurs émotions sur le vif, c’est bien celle du mouvement impressionniste. Il est bon de rappeler à ce propos que c’est aussi grâce à une innovation, la couleur en tube, que les peintres du XIXe siècle ont pu s’extirper de leurs ateliers pour mieux s’imprégner des atmosphères du dehors. Parmi les innovations dont Antonio Barbieri fait aussi grand usage, il y a les technologies de l’électroencéphalographie qui lui permettent de considérer ses états émotionnels auxquelles il donne des formes en manipulant des jeux de données. Il est bien ici question, en entrée, d’une forme d’introspection que l’artiste nous communique, en sortie, en agençant des fragments de verres pour obtenir des Mosaïques. Associant ainsi ses savoir-faire technologiques à d’autres, davantage ancestraux.

Antonio Barbieri, Armonica, 2025, photographie Loïc Thébaud.

Enfin, ses Harmoniques sphériques se situent au croisement de ces multiples pratiques. Au départ, il y a sa fascination pour les mathématiques avec, en l’occurrence, la théorie qui donne son nom à la série. Cela lui permet de recombiner algorithmiquement les données de différentes natures, venant de l’intérieur pour celles captées avec un casque électroencéphalographique, et de l’extérieur lorsqu’il s’agit des captations de son environnement. A la fois une tentative de ne faire qu’un avec le monde qui l’entoure et de nous reconnecter avec la nature.

Rédigé par Dominique Moulon pour NM Contemporary.

Paul Duncombe


Paul Duncombe, Shelters, 2025, détail.

La pratique artistique de Paul Duncombe est de nature exploratoire. Il aime la compagnie des scientifiques lui donnant accès à des mondes qui ne sont pas tout à fait nôtres. Dans l’océan Pacifique, son œuvre se construit au fil de plongées sous-marines dont ils remontent les indices lui permettant de produire, en atelier, les images et les sons qu’il présente en installation comme en performance. L’une de ses préoccupations essentielles, c’est le vivant et ses transformations en cette ère de l’anthropocène. Alors il l’observe, notamment à des profondeurs où la lumière se raréfiant ne parvient plus à activer les couleurs. A moins que ce passage au noir et blanc, concernant les récifs coraliens, ne soit dû au réchauffement climatique dont nous savons les causes. Contraint parfois de déléguer ses observations à celles et ceux qui pratiquent une plongée technique, il les équipe de caméras en les accompagnant via un drone sous-marin. Avec les données collectées, il représente ces étranges territoires où l’animal, sans l’humain, continuerait d’évoluer en symbiose avec le végétal et le minéral. L’usage de procédés incluant la photogrammétrie lui permet de mouvoir ses caméras virtuelles avec plus de fluidité au sein de paysages d’ailleurs à la relative transparence. Ayant à sa disposition un microscope électronique, il poursuit ses investigations à l’échelle des micro-organismes habitant les coraux pour en découvrir les structures. Le rendu évoque les pratiques méticuleuses, pour ne pas dire obsessionnelles, du dessin. Soumettant des prélèvements à un éclairage infra-rouge, il en révèle la bioluminescence qui, dans l’obscurité des profondeurs, est vecteur de langages pour les vivants.


Paul Duncombe, Shelters, 2025, CWB / Paris, Ville de Caen, Région & DRAC Normandie.

Avec Paul Duncombe, l’espace d’exposition prend l’allure d’un laboratoire où l’expérience esthétique s’articule autour d’observations minutieuses. L’artiste conçoit ses propres dispositifs de monstration lui permettant notamment de classifier des organismes aquatiques aux formes les plus diverses. Des mollusques et autres crustacés qui jamais ne croisent nos chemins, mais subissent pourtant les conséquences de nos existences mêmes. Lorsqu’il se focalise sur une larve de poisson, c’est pour scruter ses palpitations qui, à la mesure infime de sa taille, renseignent sur l’extrême fragilité d’un écosystème global. Et quand de ces vivants il ne reste que les squelettes externes ou coquilles, il use d’éléments radioactifs pour en tester les niveaux de protection si le pire arrivait. Car l’œuvre que Paul Duncombe tisse au fil de ses expériences allant du milieu naturel au laboratoire d’exposition vise, au-delà du plaisir esthétique qu’elle procure, à éveiller nos consciences.

Miguel Chevalier : Pixels

Miguel Chevalier, Maillages Cosmiques : Une immersion dans l’infini des réseaux, 2024.

S’il est un artiste français que les publics associent au numérique, c’est bien Miguel Chevalier. Pourtant, Pixels, une expérience interactive avec l’univers créatif de l’IA au Grand Palais Immersif constitue sa première grande exposition parisienne. Cette notoriété, il la doit aussi à la longévité de sa carrière que retrace une ligne de temps en ce lieu où la monumentalité côtoie l’intime. Y est notamment documentée sa première exposition personnelle de 1987, où il avait présenté l’installation Effet de serre dont le titre évoque déjà un intérêt pour les thématiques de son temps et la forme une appétence pour les techniques ou technologies.

Mais Miguel Chevalier doit surtout sa reconnaissance à sa capacité à gérer de grandes expositions où la participation du public est la règle. Avec son installation Maillages Cosmiques (2024), Miguel Chevalier magnifie la salle aux allures de “cathédrale” du Grand Palais Immersif. Il la transforme en terrain de jeu pour les plus jeunes alors que d’autres s’abandonnent à une contemplation immobile. Quant aux maillages dont il est question, ils illustrent parfaitement les forces de toutes natures que l’artiste extirpe de l’invisible.

L’installation multi écrans I.maginaires A.rtificiels (2024) nous rappelle l’intérêt que Miguel Chevalier porte aux technologies qui agitent actuellement la sphère artistique et plus largement notre société contemporaine : celles de l’intelligence artificielle générative. Le dispositif connait plusieurs états, affichant ponctuellement les prompts ayant servi à générer, en collaboration avec Nicolas Gaudelet, les images qui s’en suivent. Notons ici la générosité de l’artiste qui livre ses “secrets de fabrication”.

Ce que révèle aussi cette exposition monographique rassemblant une grande quantité d’œuvres sur plus d’une trentaine d’années, c’est l’approche architecturale et plus particulièrement sculpturale propre à Miguel Chevalier. Avec, par exemple, l’impression en trois dimensions de ce Janus, dieu romain des commencements et des fins qui illustre une approche, parfois, plus dramatique soulignée par la musique aussi grave qu’englobante de Thomas Roussel. Il y a dans cette exposition du Grand Palais Immersif, encore beaucoup à découvrir d’un œuvre numérique à la grande diversité des thématiques comme des formes.

Rédigé par Dominique Moulon pour Art Absolument.

New Technological Art Award

Le New Technological Art Award est une exposition qui présente notamment les œuvres lauréates du prix éponyme. Placée cette année sous le commissariat de Thierry Dufrêne, elle se déroule à Gand au Zebrastraat de la Fondation Liedts-Meesen et tisse des liens entre le surréalisme et l’intelligence artificielle.

Obvious, The Anger Falls Silent, 2024.

Le titre de cet événement biennal, “L’intelligence, c’est automatique !”, encourage aux associations telle qu’entre les œuvres d’IA générative du collectif Obvious et les dessins automatiques d’André Masson (1896-1987) où, dans les deux cas, les processus créatifs échappent à la conscience et à la volonté des artistes. Le tirage The Anger Falls Silent de la série Imagine du trio français est issu d’une collaboration avec l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière usant du procédé Mind-to-Image. « Imagine », c’est ce que nous demandons ordinairement aux IA, mais ici le langage est éradiqué pour que l’activité cérébrale fasse œuvre. L’entrainement du modèle d’IA par les artistes joue alors un rôle essentiel dans le contexte de son émergence.

Thomas Marcusson, Al Ball, 2024.

Au plus proche des peintures d’André Masson, il y a les sculptures de Pol Bury (1922-2005) dont les billes d’acier ou de bois en mouvement ne manquent pas d’exciter notre curiosité. Leur relative lenteur fait écho à celle des billes de l’installation Al Ball du Suédois Thomas Marcusson qui oscillent entre deux cartes électroniques. Ces dernières calculent les équations mathématiques des composants qui leur font face avant de pouvoir leur renvoyer les billes. Une rivalité computationnelle qui n’est pas sans évoquer le fonctionnement des réseaux antagonistes génératifs tout particulièrement appréciés par les artistes.

Piotr Kowalski & Sliders_lab, Flèche du temps, 1990-2024.

De son côté, le duo français Sliders_lab de Frédéric Curien et Jean-Marie Dallet a choisi de réactiver le dispositif Flèche du temps de Piotr Kowalski (1927-2004). Se faisant, ils l’ont fait évoluer dans le respect de son schéma originel mais sans rien perdre ni de sa prise en considération du présent ni de son extrême fluidité de l’instant. L’installation semble ainsi avoir voyagé dans le temps, comme pour valider des postulats historiques avec des moyens contemporains. Et c’est heureux car l’œuvre serait difficilement présentable dans sa version aux multiples tubes cathodiques de 1990. Pourtant elle est là, ici et maintenant, comme elle a été pensée et en cohérence avec notre époque d’hyper connectivité.

Verena Bachl & Karsten Schuh, What is for Sure, 2024.

A quelques pas de cette réactivation, il y a une autre pièce dont la forme oscille aussi entre deux siècles : le précédent, quand les œuvres de néon se sont imposées dans l’art, et le nôtre, où l’IA prédomine. Intitulée What is for Sure par les Allemandes Verena Bachl et Karsten Schuh, elle a l’élégance d’une pièce lumineuse de Dan Flavin. Mais c’est parce qu’elle est contrôlée dans ses moindres nuances qu’elle réactive des ciels préalablement capturés qu’une IA a fusionné pour qu’ils n’en fassent qu’un seul, tout particulièrement insaisissable dans son étirement.

Stéphanie Roland, Missing People, 2024.

Enfin, il y a cette autre installation lumineuse, Missing People, de Stéphanie Roland. Elle est résolument participative puisque c’est le public qui, avec une lampe, l’active pour révéler les imaginaires artificiels de personnes disparues. C’est ainsi que, littéralement, nous libérons des images préalablement encapsulées au sein de plaques de verre n’ayant de transparence que l’apparence. Un encouragement à scruter les œuvres de cette exposition Intelligence, it’s automatic ! sous tous les points de vue pour en saisir toutes les nuances.

Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress.