Laurent Pernot est un artiste dont les pratiques et les formes, d’une relative diversité, sont au service de quelques obsessions de l’intime comme la mémoire, le temps ou, plus généralement, l’imaginaire. Cela lui permet de revisiter les genres que sont le portrait, le paysage ou la nature morte tout en tissant des correspondances qu’il renforce au fil de ses créations. Le quotidien, qu’il sublime par fragments, y est une source d’inspiration sans limite dans lequel il puise les matières premières qui sont à l’origine de mises en scène aux narrations convoquant le genre littéraire de la nouvelle. Abordant le portrait, il décolle les visages des corps de celles et de ceux dont il ne sait rien pour en déduire, par l’hybridation, d’infinies variations. Se saisissant encore de photographies de famille d’anonymes, il en efface les images en des gestes accélérant singulièrement des processus de disparition que le temps avait déjà initié. Il s’intéresse aussi aux puissances telluriques qui, autrefois, ont façonné le monde. Une fois encore il accélère, en les simulant, les actions de ces mêmes forces sur les paysages qu’elles créent. L’idée étant de nous aider à percevoir de telles énergies qui, au-delà des cataclysmes, se terrent ordinairement dans l’invisible.
L’action symbolique que porte Laurent Pernot sur le temps est toutefois plus souvent de l’ordre du ralentissement. Elle est extrême quand il parvient à le figer dans des natures mortes constituées d’objets trouvés qu’il recouvre, par quelques artifices, de couches de glace ou de givre. Les objets qu’il s’approprie en des gestes duchampiens ont déjà des histoires qu’il augmente en les neutralisant par l’idée même d’un froid extrême. D’un froid qui, dans une certaine mesure, supprime la vie dont on sait qu’elle est éphémère pour préserver le vivant qu’il rend dans un même temps éternel. L’éternité étant une notion qui, régulièrement, revient dans le travail de cet artiste aux fulgurances parfois quelque peu démiurgique. Comme lorsqu’il émet le souhait de tenir la mer dans sa main à une époque où, considérant nos usages numériques, la sphère virtuelle du monde tient dans la paume de notre main et où nous saisissons, enfin, la fragilité des océans.
La fragilité étant possiblement la composante essentielle de l’œuvre que Laurent Pernot poursuit. Une fragilité qui, bien au-delà des croyances, met l’objet, l’être et le monde sur un pied d’égalité dans leur relation à l’éphémère et quelles que soient les temporalités qu’il neutralise. Et ce, qu’il s’agisse de clefs n’ouvrant plus aucune porte ou de montres ne donnant plus l’heure, de fleurs qui jamais ne faneront ou d’animaux qui ne peuvent plus disparaître. L’artiste allant jusqu’à envisager la négation de sa propre fin en se représentant lui-même gelé dans sa contemplation d’un tableau d’hiver. La contemplation est elle aussi une composante essentielle de son travail. Mais l’aspect poétique de l’œuvre de Laurent Pernot ne doit en aucun cas masquer l’approche philosophique de cet artiste. Il nous incite à reconsidérer tant la vanité de nos existences que celle de nos actions que, pourtant, nous nous devons d’améliorer au regard d’un monde qui toutes et tous nous effraie au point que l’imaginaire soit un parfait refuge.
Rédigé par Dominique Moulon pour le Salon Turbulences.