La Stiftung für Kunst und Kultur s’est associé au collectionneur Josef Broich pour organiser une exposition intitulée A la recherche de Vera Molnar – qui aurait été centenaire cette année – au Ludwig Museum de Budapest. Les deux commissaires, Zsófia Mâté et Richard Castelli, y confrontent l’œuvre de cette pionnière en art numérique avec les créations d’artistes de diverses générations qui lui rendent hommage.
En évoquant le profil de la Sainte-Victoire à l’huile et en triptyque, c’est un hommage à l’hommage que pratique l’artiste émergent aurèce vettier. C’est-à-dire à Vera Molnar qui, elle-même, s’intéressa au sujet que Cézanne a tenté d’épuiser. Se saisissant des technologies de son temps, aurèce vettier a entraîné un modèle d’intelligence artificielle avec un herbier pour jeu de données avant de solliciter le savoir-faire d’un peintre que, littéralement, il a astreint à la représentation de fragments d’images générés par l’IA.
Vera Molnar, dans son intérêt pour l’histoire de l’art, était coutumière de tels va-et-vient, comme elle le fit en se focalisant sur le carré magique que Dürer représenta dans sa Mélancolie renaissante. Bien des années plus tard, les membres du collectif U2p050 se sont intéressé à leur tour à l’étrange combinatoire de ce carré magique en concevant algorithmiquement la sculpture monumentale sonore et lumineuse Asking a Shadow to Dance. Avec cet autre hommage à l’hommage, il est question de la relation des arts à la mathématique.
Une telle exposition a le mérite d’évoquer soixante années d’histoire des pratiques numériques en art, et plus particulièrement génératives. Le doyen de cette exposition est Frieder Nake qui, rompu à la mathématique, codait déjà ses créations dans les années soixante, époque à laquelle la visualisation était loin d’être instantanée. Il fallait alors être d’une infinie patience ou, peut-être, accepter la sérendipité inhérente à l’usage des ordinateurs. A propos de son Hommage à Molnar, Frieder Nake confesse ne pas être à même d’anticiper ni les évolutions des formes ni celles des couleurs de son œuvre résolument générative.
De son côté, Antoine Schmitt admet aussi qu’il ne comprend pas toujours ce que font les modules autonomes de son 100 Squares Ensemble. L’artiste a codé un élément pour qu’il rythme les 99 autres tout en acceptant de ne pas savoir lequel. Il ne connait de sa pièce optique et cinétique que son état à l’instant même de son initialisation. Ce genre de lâcher prise est fréquent chez les artistes de l’art génératif récemment popularisé par le crypto art.
Parmi les autres œuvres présentées en écran, il y a celle de Casey Reas. Entièrement noire, la pièce est activée par une multitude de segments blancs, convoquant l’élégance de l’équation. Cet artiste américain à l’origine de la galerie NFT Feral File avec l’entreprise logicielle Bitmark est aussi connu pour avoir conçu avec Ben Fry l’application Processing bien connue des artistes qui programment. Cet exposition hommage à Vera Molnar est aussi l’occasion d’investiguer une communauté qui s’est longtemps cherché, entre numérique et art, à la frontière du marché qui considère enfin ses créations.
De la même façon que Vera Molnar utilisait la grille – donc la notion de répétition –, de nombreux artistes y ont eu recours dans cette exposition. C’est le cas du dispositif vidéo Trame Temporelle de Mario Klingemann. L’occasion pour le public d’entrer dans l’image fusionnant points de vue et temporalités. L’artiste allemand, usant une fois encore des technologies d’aujourd’hui, convoque les pratiques pionnières de l’art vidéo en proximité desquelles se sont développées les pratiques numériques depuis les années soixante.
Avec Tamiko Thiel And /P et leur dispositif de réalité augmenté Vera Plastica tout aussi participatif, c’est davantage la question de la répétition qui est abordée. Ici, l’objet des répétitions est le modèle en trois dimensions d’une bouteille en plastique conférant un caractère écologique à cette pièce “jouable”. Les pratiques numériques n’échappent pas à la pénétration du politique dans l’art, bien que ce ne soit pas l’enjeu principal d’une telle exposition davantage axée sur la contemplation des algorithmes dans le champ de l’art.
Rédigé par Dominique Moulon pour ArtPress.