Les commissaires Dominique Moulon et Davide Sarchioni se sont associés pour présenter le travail de l’artiste italien Antonio Barbieri à la galerie NM Contemporary de Monaco. Cette exposition intitulée Sculpter l’invisible présente une nature magnifiée par les technologies numériques.

Dans la Grèce antique, c’est la nature elle-même qui fait œuvre que les artistes se doivent de reproduire le plus fidèlement possible. C’est aussi ce que fait Antonio Barbieri lorsqu’il nous présente les dessins de modèles en trois dimensions de Pollens dont il a confié l’exécution, dans leurs moindres détails, à une machine. Rappelons à ce propos que le terme pollen nous vient du Grec ancien palê qui signifie poussière, sachant que notre biodiversité dépend très largement de ces infimes particules que les insectes et les vents se partagent. En les grossissant singulièrement, l’artiste nous projette dans l’infiniment petit, ce qui a pour effet de nous sensibiliser sur leur vulnérabilité quant aux menaces les plus diverses. Mais Antonio Barbieri ne se contente pas de représenter la nature telle qu’elle est lorsqu’il l’hybride symboliquement comme on le fait en laboratoire de recherche pour faire face aux défis climatiques qui se profilent à l’horizon.

Notons la précision des procédés photogrammétriques d’acquisition dont il fait usage pour créer ce qu’il nomme Chimères. Par leur niveau de détail, de telles pièces imprimées en trois dimensions selon divers procédés de prototypage rapide préservent un lien étroit à la réalité de plantes ou de champignons. Et c’est en recombinant des fragments de réel que l’artiste s’en éloigne de la même manière que les jardiniers et les peintres recomposent la nature en usant de géométries secrètes ou d’accords chromatiques. Nous sommes ici face à un corpus d’œuvres où le vivant dialogue avec les techniques, ce à quoi l’histoire de l’art est coutumière, bien qu’il s’agisse là de technologies contemporaines.

Les cybernéticiens d’autrefois le savaient déjà : tout, dans la nature, si inspirante qu’elle soit, peut être modélisé. Pour les scientifiques d’aujourd’hui, les algorithmes sont “génétiques” et les réseaux “neuronaux”. Quant aux artistes comme Antonio Barbieri dont les pratiques se situent à la croisée des arts et des sciences, ils donnent des formes à ce que les machines calculent. Ses Lichens sont autant d’interprétations artistiques de ce que les mathématiciens nomment mouvement brownien, du nom du botaniste Robert Brown qui les découvrit en 1827, justement en observant des pollens ! Le fait que l’artiste ait sculpté de telles découpes pour leur donner des allures d’organismes composites dont la classification a évolué dans le temps dit son appétence pour une certaine forme de complexité.

En vue d’évoquer des arbustes méditerranéens dans sa série des Sarcopoterium, Antonio Barbieri recombine des données captées en milieux naturels selon des structures géométriques fractals pouvant se répéter à l’infini. La vue de ses sculptures métalliques finement colorées qui apparaissent comme figées dans leurs développements nous place dans la situation des scientifiques pour qui tout commence par l’observation. Chaque détail nous rapproche de la compréhension d’un tout qui dissipe la complexité. Un mouvement intempestif, et tout bascule, sans omettre le dessin des ombres qui fait se répéter ces structures dans un ailleurs où tout est plus instable encore.

S’il est une rupture en art dans la relation des artistes à la nature qui, non pas s’en éloignent mais privilégient la représentation de leurs émotions sur le vif, c’est bien celle du mouvement impressionniste. Il est bon de rappeler à ce propos que c’est aussi grâce à une innovation, la couleur en tube, que les peintres du XIXe siècle ont pu s’extirper de leurs ateliers pour mieux s’imprégner des atmosphères du dehors. Parmi les innovations dont Antonio Barbieri fait aussi grand usage, il y a les technologies de l’électroencéphalographie qui lui permettent de considérer ses états émotionnels auxquelles il donne des formes en manipulant des jeux de données. Il est bien ici question, en entrée, d’une forme d’introspection que l’artiste nous communique, en sortie, en agençant des fragments de verres pour obtenir des Mosaïques. Associant ainsi ses savoir-faire technologiques à d’autres, davantage ancestraux.

Enfin, ses Harmoniques sphériques se situent au croisement de ces multiples pratiques. Au départ, il y a sa fascination pour les mathématiques avec, en l’occurrence, la théorie qui donne son nom à la série. Cela lui permet de recombiner algorithmiquement les données de différentes natures, venant de l’intérieur pour celles captées avec un casque électroencéphalographique, et de l’extérieur lorsqu’il s’agit des captations de son environnement. A la fois une tentative de ne faire qu’un avec le monde qui l’entoure et de nous reconnecter avec la nature.
Rédigé par Dominique Moulon pour NM Contemporary.