
L’exposition personnelle temporaire Midnight Zone de Julian Charrière au Musée Tinguely de Bâle nous accueille avec une photographie sous-marine présentant une étagère aux piles d’assiettes inutilisées depuis de naufrage volontaire du porte-avions américain Saratoga en 1946. S’en suivent d’autres tirages de la série Where Waters Meet aux chorégraphies silencieuses de corps nus, en suspension, entre deux eaux. Le ton de cette exposition qui baigne dans une relative obscurité est donné, le temps y est figé, les sons assourdis. Nous ne verrons le soleil en vidéo que du dessus, au travers de la couche liquide filmée qui nous sépare de la surface de l’eau et via l’installation vidéo vaporeuse Silent World nous mettant en situation. Une autre installation intitulée Calypso au masque de plongée à la surface miroitante, littéralement, nous implique. Mais l’objet qui fascine, considérant sa multiplication par l’image sur les médias sociaux, c’est Spiral Economy : un distributeur automatique d’ammonites se réfléchissant à l’infini, ou presque. Des animaux disparus il y a des dizaines de millions d’années dont les fossiles témoignent encore de mers préhistoriques retirées. Cela a pour effet de placer le public dans un temps long, profondément incompatible avec nos modes de consommation actuels. Un temps étiré que souligne l’expérience dite « de la goutte de poix » qui, imperceptiblement, s’écoule au sein du dispositif sculptural Pitch Drop.

Après quelques séquences documentant l’étrangeté des étendues d’eau et de glace, une salle surprend subitement par son extrême luminosité. Trois photographies de la série The Blue Fossil Entropic Stories témoignent d’une action performative désespérée de l’artiste dans laquelle il s’attaque à un iceberg de l’océan Arctique au chalumeau à gaz. Un acte résolument symbolique qui renvoie à notre inaction climatique collective. De retour dans l’obscurité, deux installations intitulées Midnight Zone s’articulent autour de l’usage d’une lentille de Fresnel semblable à celles qui équipent les phares annonçant, la nuit, les rivages ou ports aux marins. L’une de ces deux créations témoigne de la performance durant laquelle l’artiste suit la lentille qu’il a fait s’enfoncer dans l’océan Pacifique, l’autre présente le dispositif lumineux magnifié par des surfaces miroitantes, plaçant le public en immersion totale. Le détournement par l’artiste de l’usage originel de l’appareil visant à prévenir les naufrages n’est pas neutre. Devenu objet d’art dans ce contexte muséal, il attire notre attention sur le désastre global qui serait consécutif à l’extraction sans limites des ressources des fonds marins du monde. Ou quand la contemplation, considérant cette œuvre-exposition de Julian Charrière, vise aussi à éveiller les consciences.
Article rédigé par Dominique Moulon pour Art Absolument.