Fabien Léaustic est un artiste du faire à la formation d’ingénieur. Il use de son atelier comme d’un laboratoire où sont répétées des expériences jusqu’à ce que des œuvres en émergent. Les livres d’art y ont autant leur place que les manuels de physique bien que son atelier-laboratoire soit mobile eu égard aux résidences qu’il enchaîne inlassablement. Le lieu de ses créations pouvant être tantôt à la mesure d’une briqueterie à ciel ouvert tantôt se réduire à l’espace étendu de son disque dur. Notons que les gestes les plus artisanaux sont pour lui tout aussi inspirants que les hautes technologies. Fabien Léaustic pratique une forme de recherche en art où l’observation dans la durée des phénomènes qu’il étudie se concrétise par des pièces constituant chacune les fragments d’une l’histoire qui, littéralement, se déroule. Des sciences, il a adopté l’approche comme le prouvent ses créations pouvant être envisagées telles autant de versions. Quand l’artiste les travaille jusqu’à ce qu’elles se révèlent à lui alors que les idées ou concepts des suivantes ont déjà émergé.
Il y a, inévitablement, dans la pratique de Fabien Léaustic, des matériaux récurrents comme la terre crue ou l’argile dont il apprécie tout particulièrement le caractère symbolique en la prélevant en divers endroits pour l’utiliser en de multiples états : la liquéfiant, la séchant, la cuisant… L’idée même de transformation pouvant être considérée comme une véritable constante dans son travail au point qu’il en est venu à traiter du vivant tout en acceptant d’être relégué au rang de premier spectateur de ses œuvres en perpétuelles mutations. La lumière, que l’artiste expérimente depuis le tout début, compte parmi les matériaux qu’il assemble ou plutôt confronte comme pour mieux les éprouver. De ces dialogues improbables naissent alors des créations comparables à celles des inventeurs. Quant au hasard, dont la place est essentielle, il nous indique d’autres possibles correspondances tant avec l’artiste-ingénieur Léonard de Vinci – qui conseillait l’observation des murs barbouillés de taches pour y déceler des paysages variés – qu’avec les surréalistes pour l’écriture automatique, ou le mouvement Fluxus dont on sait les questionnements relatifs au statut de l’œuvre d’art.
Mais n’aborder chez Fabien Léaustic que l’approche – singulière on en conviendra – comme les matériaux utilisés nous permettant de mieux saisir les contours de son œuvre reviendrait à oublier la part politique de certaines de ses créations. Quand, par exemple, au Mexique, il s’insurge contre l’usage immodéré des armes à feu par la sculpture et l’empreinte tout en offrant un accès libre à une eau purifiée que des citoyens ordinaires ont l’habitude de payer trop cher pour enrichir quelques puissantes entreprises multinationales. Sans omettre son attachement illimité pour les forces telluriques qui devraient nous inciter à davantage d’humilité. Enfin, Fabien Léaustic attire notre attention sur l’extraction du gaz de schiste par fraction hydraulique – ô combien polluante – autant qu’il évoque les coulées de boue toxique, au Brésil avec l’installation Geysa dont l’esthétique, s’inscrivant entre science et fiction, convoque l’idée même d’une forme de chamanisme contemporain. Car la pratique de Fabien Léaustic, souvent, induit la magie de ce que l’on ne peut s’expliquer. Et c’est en croisant des pratiques ancestrales avec une pensée contemporaine qu’il y parvient.
Rédigé par Dominique Moulon pour Turbulences